Débordante d’énergie et de chaleur, Näss, que reprend le chorégraphe franco-marocain Fouad Boussouf à la Scala à Paris après une longue tournée, est une pièce physique et solaire qui conserve tout son impact.
Ce sont sept hommes, dont les silhouettes se discernent d’abord faiblement dans le crépuscule ombrageux d’un éclairage entre chien et loup, sept hommes dos à la salle et au regard, face à un gigantesque mur qui obstrue l’horizon. Au lever du jour ils s’habillent lentement, puis lorsque la lumière de plus en plus rougeoyante atteint son zénith, ils envoient valser les vestes qu’ils ont revêtues et se jettent dans un espace encore vierge d’activité. Ils se meuvent alors galvanisés par une volonté irrépressible d’exister, de s’exprimer. Ensemble et isolément, ils font corps. Toniques et tendus vers l’avant, fiévreusement élancés, têtes levées, mains implorantes, torses et bras renversés, gestes abrupts et saccadés, les danseurs ne peuvent tenir en place tout en demeurant très ancrés. Leurs pieds martèlent le sol. Ils sautent et tournoient infatigablement. Leurs présences puissantes et irradiantes de charisme font jaillir et se mêler une sensualité virile et une gracieuse combativité.
Formé aux danses urbaines qu’il métisse d’inspirations traditionnelles plus ancestrales, Fouad Boussouf a cette qualité de dynamiser, d’électriser, et de faire s’embraser les corps. Dans ces pièces, les interprètes semblent atteindre un état de transe qui captive et étreint. Sans chercher à être trop formel ou conceptuel, Näss est surtout une pièce physique, où la dépense est totale. Les êtres s’expriment à travers un mouvement quasi ininterrompu et qui semble inné, comme inscrit en eux, qui surgit et s’épanouit spontanément, viscéralement. La performance paraît vitale, engageante et engagée, rageuse même à la fin lorsque le cri s’adjoint au geste. Véritablement habitée, la danse est irriguée du besoin d’affirmation de soi et d’ouverture à l’autre. Le titre de la pièce (qui signifie « les gens » en arabe) témoigne de l’humanisme avec lequel se mâtine la fulgurante montée de fièvre qui est mise en scène. L’excitation qui se décharge trouve son sens dans le partage et l’être-ensemble propulsés au devant de la scène.
Proche du cérémonial presque tribal, Näss laisse contempler une beauté magnétique qui envoûte tout comme les nappes de sons télescopés jusqu’à l’indéchiffrable et les frappes sèches et répétitives des percussions qui pulsent sa représentation. Une extrême chaleur se dégage du spectacle et se traduit de manière très concrète par le fait d’agiter machinalement des tee-shirts suintant de sueur comme lorsqu’on manque d’air. L’ambiance particulière est celle des origines, évoque le Maroc où le chorégraphe est né et a grandi dans les années 1970, celle du souvenir d’instants de liesse et de révolte vécus par l’artiste épris d’idéal.
Rite fougueux, exclusivement masculin, Näss se joue depuis 2018 et rencontre toujours un très grand succès. Il se fait l’exact contrepoint d’une autre pièce plus récente du chorégraphe, Fêu, un opus féminin cette fois, toute aussi abrasif, qui dans une unité de temps et d’espace, suit rigoureusement et en infinies variations, la large courbe d’un cercle sans fin pour exalter l’esprit sororal d’une communauté de femmes. La force du groupe est toujours au cœur de Näss. Ces artistes s’apparentent à des compagnons de lutte comme de fête, ils s’affrontent et se soutiennent dans une proximité physique qui est celle d’une équipe ou d’une meute mouvante, pour célébrer encore un fort sentiment de fraternité.
NÄSS (les gens) – Fouad Boussouf (Cie Massala)
Chorégraphe : Fouad Boussouf
Interprètes : Elias Ardoin, Sami Blond, Mathieu Bord, Maxime Cozic, Yanice Djae, Loïc Elice, Justin Gouin
Assistant chorégraphie : Bruno Domingues Torres
Lumière : Fabrice Sarcy
Costumes et scénographie : Camille Vallat
Son et arrangements : Roman Bestion, Fouad Boussouf, Marion CastorReprise de production LePhare-Centre chorégraphique national du Havre Normandie / direction Fouad Boussouf
Production Compagnie Massala
Coproduction Théâtre Jean Vilar – Vitry-sur-Seine /
Le Prisme – Élancourt / Institut du Monde Arabe – Tourcoing / Fontenay-en- Scènes – Fontenay-sous-boisSoutiens financiers ADAMI / Conseil départemental du Val- de-Marne / Région Ile-de-France / Ville de Vitry-sur- Seine / SPEDIDAM / Institut Français of Morocco Soutiens / prêts de studio La Briqueterie – CDCN du Val-de-Marne / Le POC d’Alfortville / Centre National de la Danse / Le FLOW – Pôle Culture Ville de Lille / Cirque Shems’y – Salé, Maroc / Royal Air MarocThéâtre des Ber- geries – Noisy-le- Sec / La Briqueterie – CDCN du Val-de-Marne / Le FLOW – Pôle Culture Ville de Lille / Institut Français de Marrakech
Durée 55 minutes
La Scala Paris
Du 23 au 28 avril 2024
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