À l’occasion du temps fort Génération(s) à Points Communs, la nouvelle création de la danseuse et chorégraphe Marion Motin, bientôt présentée à La Villette à Paris, revisite la figure légendaire de Narcisse, sans trop creuser son sujet, mais avec plein d’effets.
Venue de la scène hip-hop, l’artiste française Marion Motin, vite repérée pour ses collaborations avec Madonna ou Stromae, est toujours très sollicitée, comme en témoigne la commande de la pièce The Last Call, créée pour le Ballet de l’Opéra national de Paris. En parallèle, elle poursuit son parcours éclectique et fulgurant, en tentant d’écrire et de réinventer son propre langage chorégraphique à la tête du Collectif Les Autres. Après le succès du Grand Sot, en 2021, elle présente Narcisse, une pièce travaillée en résidence à Points Communs, la Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise. L’antihéros mythologique, absorbé par la vision de son propre reflet dans l’eau d’une source à laquelle il se désaltère, et qui finit par mourir en voulant l’embrasser, ne cesse de traverser les temps et les arts pour incarner, voire défier les normes et les tendances de chaque époque. Si la figure sert de point de départ à la création proposée, son histoire n’est pas racontée. Puissant vecteur de l’expression de la célébration de soi, Narcisse semble ici inspirer non pas tant pour son exceptionnelle beauté que pour son impudent attrait à la spectaculariser. Le travail interroge la place prépondérante qu’accorde l’individu, comme la société, à l’image et à la fabrication d’un phénomène d’auto-centrage aussi pesant qu’exacerbé.
Démultiplié, dégenré, Narcisse prend ici l’aspect d’une femme lascive qui rampe et se tord au sol, agite sa chevelure comme une crinière sauvage, et répète à l’envi un mouvement de coups de bassin mimant un coït frénétique. Elle est ensuite rejointe par quatre autres danseurs – trois femmes et un homme –, aux gestes tout aussi suggestifs, dans des tenues moulantes, transparentes, exubérantes. Mis en scène de façon hypersexualisée, les corps sont présentés à la fois comme des objets de fantasme et de consommation. Ils se meuvent en enchaînant des postures et mimiques un brin convenues, exhibant un fort culte du moi et de l’apparence. Rituel festif et érotisé, la danse dérape parfois insidieusement vers des penchants plus violents. L’unisson apparent menace alors de se déliter. Mais, si la pièce souhaite visiblement vriller, et tirer son propos vers la monstruosité, elle n’y parvient que de manière très ponctuelle et hachée. Ce qui se donne à voir tient davantage du show, sans doute trop démonstratif, même si assez maîtrisé. En cause, une esthétique clipesque et clinquante qui se disperse sans permettre aux tableaux et aux ambiances de vraiment s’installer. Alors, ce Narcisse manque d’aller au bout des intentions affichées, à savoir en découdre avec le mythe, l’attraper, le saisir, lui tordre le cou, tel que le déclare Marion Motin.
Portée par l’énergie un peu brute de ses cinq interprètes, pris dans l’effervescence d’un ego trip extatique sur les rythmes et les décibels de musiques stylistiquement variées (Pink Floyd, entre autres), mais qui semblent étouffés par la lourdeur d’effets visuels envahissants, la pièce ne profite pas d’une substance suffisante pour ouvrir et nourrir pleinement l’imaginaire. L’espace nu et polysémique dans lequel elle évolue peut s’apparenter aussi bien à un cirque, un cabaret, une salle de concert qu’à un club, traversés, voire secoués par des bouffées de fumigènes et des jeux de lumières pyrotechniques et psychédéliques formant un camaïeu multicolore continuellement changeant. L’apparition d’un miroir géant derrière un tapis réfléchissant permet de faire se refléter les silhouettes troubles et élancées des danseurs qui s’y contemplent jusqu’à s’y perdre.
À l’occasion de numéros de pastiches, Marion Motin se glisse dans la peau de Led Zeppelin en interprétant en playback Since I’ve Been Loving You, une autre danseuse joue les meneuses de revue en reprenant l’iconique I Wanna Be Loved By You de Marilyn Monroe. Ponctué de la guillerette et tonitruante Entrée des gladiateurs du Big Top Circus Orchestra comme leitmotiv, le tour de piste recycle avec insistance un certain nombre de clichés sur l’exposition de soi qui ne cessent d’alimenter les réseaux sociaux et Internet, et n’empêchent les variations narcissiques proposées de tomber, alors, dans une forme de banalité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Narcisse
Chorégraphie Marion Motin
Assistante Caroline Bouquet
Avec Maud Amour, Chris Fargeot, Jocelyn Laurent, Marion Motin, Belèn Leroux
Création lumière Marion Motin, Judith Leray
Set Design Marion Motin
Regard extérieur pour les musiques Micka Luna
Régie son Eric Dutrievoz
Régie générale Gwendolyn BoudonProduction Collectif Les Autres
Coproduction La Villette-Paris dans le cadre d’Initiatives d’artistes et avec le soutien d’Initiatives d’Artistes en Danses Urbaines-Fondation de France – La Villette 2023 ; Points Communs – Nouvelle Scène nationale Cergy-Pontoise / Val-d’Oise ; Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne-EMKA, direction Mehdi Kerkouche, dans le cadre de l’accueil studio – ministère de la Culture ; Le Phare, Centre chorégraphique national du Havre dans le cadre de l’accueil studio – ministère de la Culture ; La Rampe – La Ponatière, Scène conventionnée (Échirolles)
Avec le soutien du mécénat de la Caisse des Dépôts et de l’Adami.
Résidences Théâtre du Châtelet ; Ville de Saint-Ouen-sur-Seine ; Fondation Groupe EDFDurée : 1h
Points Communs, Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise
les 21 et 22 novembre 2024La Villette, Espace Chapiteaux, Paris
du 4 au 6 décembreLe Carré Magique, Pôle National Cirque en Bretagne, Lannion
le 12 décembreLa Rampe – La Ponatière, Scène conventionnée, Échirolles
le 18 février 2025
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