Au Théâtre de l’Aquarium, dans le cadre du bien nommé Festival BRUIT, Mojurzikong invite le jeune public à se télétransporter sur une planète inconnue à une époque impossible, entre ère jurassique et avenir intergalactique, grâce au savant dispositif conçu par Émeric Guémas et Jérôme Lorichon, binôme complémentaire et accordé. Un spectacle graphique et musical de toute beauté.
Alors que la cuvée de l’été bât son plein au coeur du bois de Vincennes, le Festival BRUIT (qui court depuis le 15 juin et dure jusqu’au 1er juillet) réaffirme haut et fort l’évidence du lien entre la musique et le théâtre et fait résonner le plateau de l’Aquarium de multiples propositions rafraîchissantes qui s’amusent à mélanger les genres, s’adressent à tous les publics, aux mélomanes en priorité, aux amateurs de pluridisciplinarité, aux curieux de toute espèce. Hier, mercredi, jour des enfants (et de la sacro sainte fête de la musique), nous avons mis le cap sur un spectacle jeune public dont le titre incongru et dissonant a retenu toute notre curiosité et attention : Mojurzikong, une création signée en binôme par Émeric Guémas et Jérôme Lorichon sous le regard complice et aiguisé de Charlotte Corman.
Une histoire fleuve proposée en épisodes, dont les deux premiers avaient été présentés lors du précédent BRUIT mais nul besoin d’avoir vu le début pour comprendre et apprécier les expérimentations formelles et les échappées imaginaires de la Compagnie Sous la tour. Somme toute assez simple et presque secondaire au regard du déploiement du dispositif audio et visuel, le récit de Mojurzikong n’est pas ce qui fait à proprement parler le sel de ce spectacle sans acteur.ices ni paroles. Et pourtant ce ne sont pas les aventures et rebondissements qui manquent ! Trois personnages (un homme, une femme et un robot) en goguette dans l’océan cosmique doivent atterrir en catastrophe sur une étrange planète suite à une défectuosité de leur navette spatiale. Les voilà débarqués en milieu hostile où règnent tout autant animaux préhistoriques qu’un mystérieux dictateur. La suite, on la passera ici sous silence pour garder le plaisir de la découverte et le suspense narratif.
On ne vous cachera pas en revanche le délice du dispositif et son exécution à vue qui participent de l’originalité de la proposition. Car si le déroulé de l’intrigue se joue sur un écran carré surplombant la scène, son animation est effectuée en direct par un duo synchrone, Émeric Guémas à la création graphique et Jérôme Lorichon à la composition musicale. Positionnés sous l’écran, ils s’activent en harmonie pour donner vie et tempo à ce livre d’images d’un genre nouveau conçu à partir de deux rétro-projecteurs ultra perfectionnés et d’une table de mixage. Dans ce hors champ paradoxalement visible s’opère le plus savoureux des ballets. Tandis que l’un manipule papier découpé, calques, manivelle et marionnettes cartonnées, multipliant les couches de matériaux, jouant sur les contrastes entre transparence et opacité, couleur et noir et blanc, déployant ses textures et surfaces, les différents grains de matières, sa gamme chromatique aussi, bref, tout un panel d’illustrations destinées aux différentes étapes de la narration, l’autre bidouille sur ses machines, orchestre à la fois le bruitage et l’ambiance musicale rétro-futuriste, chante également ou donne de la voix, lui aussi amplifiant ses nappes atmosphériques d’ajouts rythmiques, de mélodies enveloppantes, en une partition foisonnante et sensorielle.
Le tout a des airs de mille-feuilles sensitif qui de son accumulation de matériaux visuels et sonores tire une richesse inouïe pour l’œil et l’oreille. Une sensation immersive et synesthésique à la fois se dégage de cette expérience hors norme, esthétiquement renversante. La précision et la rapidité des gestes deviennent une chorégraphie aussi fascinante à regarder que le résultat à l’écran. L’attention du public navigue de l’un à l’autre en toute fluidité et le hiatus temporel né de la rencontre improbable entre dinosaures rescapés d’un monde engloutis et contexte science-fictionnel futuriste, le tout imprégné d’un imaginaire puisant dans la culture pop et les années 90, rejaillit sur les moyens employés pour le raconter puisque ce théâtre d’ombre musical doit sa fabrication à un savant tressage entre artisanat manuel et technologies de pointe.
Dans cette béance spatio-temporelle se glisse Mojurzikong et sa singularité bien d’aujourd’hui. Ce goût pour les coulisses mises à nues, cette façon de dévoiler le “comment c’est fait”, de croire que l’illusion théâtrale et le principe d’adhésion à la fiction ne souffrent pas de la coprésence avec l’envers du décor. Expérience esthétique forte qui pousse un peu plus loin encore les possibles de la rencontre scénique entre image, récit et musique et annonce bon nombre d’épisodes à venir. Comme autant de promesses de voyages lointains et de rêves les yeux grands ouverts…
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Mojurzikong
Conception : Émeric Guémas et Jérôme Lorichon
Illustrateur : Émeric Guémas
Musicien : Jérôme Lorichon
Regard extérieur : Charlotte CormanCoproduction : le 9-9bis et la Sacem dans le cadre du dispositif “Salle mômes“
Coproduction et accueil en résidence :
Le Sirque, Pôle National Cirque à Nexon (Nouvelle Aquitaine), le 9-9bis à Oignies, Antipode MJC à Rennes
Soutien et accueil en résidence : Point Éphémère, la vie brève – Théâtre de l’Aquarium, La Gaîté Lyrique, Armada Productions à Saint-Erblon
Coréalisation : la vie brève – Théâtre de l’AquariumDurée : 1h
A partir de 7 ansDu 21 au 25 juin au Théâtre de l’Aquarium – Cartoucherie
Mercredi 21 à 15h, samedi 24 à 18h30, dimanche 25 juin à 11h30
Dans le cadre du Festival BRUITFestival Salle mômes au Trio-S à Inzinzac-Lochrist : les 12 et 13 novembre 2023
Les 8 et 9 mars 2024 au Lavoir numérique – ParisLes 15 et 16 mars 2024 au Centre Culturel Paris Anim’
Le 22 mars 2024 au Festival Babel Mômes – Aubervilliers
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