J’ai découvert Shakespeare avec « Macbeth ». J’avais onze ans, nous avons lu le texte à haute voix en classe –sans doute très mal, mais notre prof d’anglais nous a très bien expliqué l’ironie dramatique, les pentamètres iambiques, la richesse de la langue et l’utilisation des images récurrentes – et cela a enflammé mon imagination pour toujours.
Shakespeare nous fait entrer dans la tête de son héros et nous fait vivre sa tentation, son hésitation, ses doutes, puis sa détermination, son endurcissement, son isolement et sa chute. Il nous fait participer à son crime et nous fait ressentir toute l’étendue de son châtiment. Shakespeare nous présente une histoire très morale, sans jamais être moralisateur.
Je voudrais partager cette histoire avec un public d’aujourd’hui. Pour cela il y a plusieurs obstacles à surmonter. Si l’intérêt de la pièce est universel et éternel, il s’agit néanmoins d’une histoire datant du moyen âge racontée à l’époque élisabéthaine – il y a plus de 400 ans.
Et la langue de Shakespeare, bien que sublime, présente de nombreuses difficultés d’appréciation et de compréhension à un public moderne plus habitué à des phrases courtes ou inachevées, des idées simples et des clichés plutôt qu’une pensée complexe et originale qui coule comme une rivière avec plusieurs courants, évoluant à travers une suite d’images.
Je voudrais rapprocher mon Macbeth des gens d’aujourd’hui pour qu’ils entrent dans l’univers de la pièce et découvrent –comme moi il y a presque cinquante ans – l’énormité du combat qui s’y livre, qui semble toucher le monde entier et qui pourtant se passe à l’intérieur de la tête d’un homme, un homme qui rêve et espère comme nous, qui pense pouvoir gagner un royaume et qui ne réussit qu’à perdre son âme.
Je ne veux pas simplifier la langue pour autant. Je voudrais la transmettre dans toute sa magnifique complexité. La traduction en français enlève naturellement les archaïsmes et nous oblige à clarifier le sens de certains passages obscurs. Je voudrais tenter de m’approcher des rythmes shakespeariens et retrouver l’effet dramatique des couplets rimés en fin de scènes. Je vais essayer de respecter les pentamètres iambiques autant qu’il est possible en français, et trouver un compromis entre la comptabilité stricte des vers français et la liberté audacieuse et musicale de Shakespeare.
Le but de ma mise en scène est de rapprocher la pièce de nous et de faire entrer un public moderne dans la tête de Macbeth et dans la poésie de Shakespeare. L’auteur a déjà filtré une histoire moyenâgeuse à travers une sensibilité de la Renaissance. Je rajoute une couche en encadrant la pièce dans une époque que nous reconnaissons facilement, beaucoup plus proche de nous.
On parle beaucoup aujourd’hui de Woodstock et des meurtres de Charles Manson. L’année 1969 apparaît avec le recul comme un tournant dans le mouvement contestataire de la jeune génération de l’époque : on passe de l’optimisme des hippies, de « flower power » et « peace and love » à quelque chose de beaucoup plus sombre, du rêve de Woodstock au cauchemar d’Altamont (où les Hell’s Angels chargés de la sécurité à un concert gratuit des Rolling Stones ont tué un des spectateurs à coups de couteau), de « All You Need Is Love » à « Sympathy For The Devil », de l’espoir de la protestation contre la guerre au Vietnam à la reconnaissance d’une forme de complicité dans ses massacres.
Je voudrais présenter « Macbeth » comme le moment où un mauvais choix nous fait perdre cette innocence, où nous rencontrons le serpent et faisons la connaissance du mal. Je vais utiliser les enregistrements de l’époque – les Rolling Stones, les Beatles, les Doors – pour aider à rendre sensible le drame de cette prise de conscience.
En présentant la pièce comme le cauchemar (ou bad trip) d’un seul homme, je veux ouvrir une porte qui permettra de saisir la cohérence de l’ensemble sur les plans narratif, esthétique et philosophique, tout en nous aidant à accepter certains éléments fantastiques de la pièce (sorcières, fantômes, apparitions) ainsi que certaines conventions théâtrales (un même acteur jouant plusieurs rôles, costumes faisant référence à plusieurs époques). Je compte attirer l’attention sur les thèmes majeurs de la pièce (le sommeil, le festin, l’enfant, le jour et la nuit, la santé et la maladie, le bien et le mal). Je cherche à traduire l’unité magnifique du poème dramatique en images concrètes sur scène et à rendre sensibles et compréhensibles les leitmotifs de la pièce et les liens que Shakespeare établit entre eux.
Je compte aussi, en explorant la pièce à travers les yeux d’un homme qui a peur de la femme en tant que représentante de la terre et de la nature, jeter un regard éclairé sur le rôle des femmes dans la pièce, dans la société décrite… et dans la nôtre.
La pièce baigne dans l’imagerie chrétienne courante à l’époque de Shakespeare, sans jamais s’enfermer dans les dogmes de l’église. Que l’on soit chrétien, musulman, bouddhiste, agnostique ou athée, il nous parle de la vie avant tout. Je voudrais juste attirer l’attention du spectateur moderne sur ces images et ces mots récurrents pour qu’il soit sensible à leur force. Le jour et la nuit, l’innocence et la culpabilité, le sommeil et l’éveil, le rêve et la réalité, l’enfance et la vieillesse – Shakespeare donne à comprendre la pensée abstraite dans des images concrètes et saisissantes et enflamme notre imagination. Je voudrais former une troupe d’acteurs intensément humains pour partager ces images avec le public.
L’ironie dramatique me paraît aussi forte maintenant qu’il y a 400 ans. En tuant le roi pour prendre sa place, Macbeth se voit finalement privé de tout ce qu’un homme peut espérer dans la vie. En poussant son mari à accomplir ce crime, Lady Macbeth pense s’unir avec lui dans la santé et la gloire mais se condamne elle-même à la solitude, la folie et la mort.
Il ne s’agit pas d’un châtiment divin imposé par une force extérieure mais de la conséquence naturelle inhérente à leur projet. En agissant contre nature ils provoquent leur propre sort et vident eux-mêmes leur vie de sens. Plutôt que des émissaires d’un destin implacable et inéluctable comme dans une tragédie grecque, les sorcières sont pour moi une manifestation des désirs intérieurs de Macbeth. Elles incarnent les craintes d’un homme qui a peur : de la femme ; de la nature en général ; et spécifiquement de sa propre nature – ou dénature : l’impression qu’il est un étranger, divorcé des lois profondes de la nature.
Je vois Macbeth comme un homme moderne : à la fois étranger et homme révolté, il défie le destin et plonge dans le crime et le mal en se battant contre les limites de la condition humaine. Là où la conscience d’Hamlet lui trouve des prétextes pour ne pas passer à l’acte et tuer le roi, Macbeth surmonte les arguments de la sienne et agit. Une fois qu’il a obtenu ce qu’il voulait, il découvre qu’il faut continuer sur le chemin du mal afin de le garder, puis finalement qu’en obtenant son désir il a perdu tout ce qui pouvait donner un sens à sa vie
On n’a pas besoin d’une licence en histoire ancienne pour être touché par le sort de Macbeth – cela nous concerne tous.
Mitch Hooper
Macbeth de William Shakespeare
Mise en scène Mitch Hooper
Avec Anatole de Bodinat, Anne Coutureau / Louise Lemoine Torrès (en alternance), Jérôme Keen, David Mallet, Alain Payen, François Hatt, Baptiste Benoît, Sabrina Bus, L’Eclatante Marine / Marion Gress (en alternance)
Lumière Patrice Lecadre
Costumes et décor Philippe Varache assisté de Michael Lebrasse, Moussa Gassama et Cléo Paquette
Sculpture sur bois Sylvie Tonnelier
Production Cie. Body and Soul/Corps et âme
Théâtre vivant, Tabarmukk, Adlib 444, CENTQUATRE Paris, Ville de Champs-sur-MarneEpée de Bois
Du 05 au 28 novembre 2021
Du jeudi au samedi à 21h
Dimanche à 16h30
Pas de représentation le jeudi 04 novembre
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