Avec Mise à nu, présenté dans le cadre du festival MARTO à l’Azimut de Châtenay-Malabry, Emmanuel Audibert clôture tout en délicatesse son triptyque consacré au monde intérieur d’un certain Monsieur Lorem Ipsum. Un savant fou de bidouille électronique autant que d’objets usagers, qui se livre ici à un singulier dialogue plein de vie avec un Grand Singe mécanique.
L’obsession d’Emmanuel Audibert est de celles qui rassurent, qui rappellent que la douceur existe et qu’elle peut trouver place dans le quotidien. Dès que l’on s’installe sur un gradin autour du petit plateau de bois fait de deux cercles emboutis conçu par Fred Dyonnet, construit par Kevin Maurer, Mise à nu réactive chez qui est familier de l’univers de l’artiste le souvenir des créatures qui l’ont habité plus tôt, et qui revivent régulièrement en tournée. Dans le cadre du festival de marionnettes et d’objets MARTO dont il est partenaire, le théâtre La Piscine – l’un des trois lieux de l’Azimut à Châtenay-Malabry – a fait le nécessaire pour offrir à ses spectateurs la possibilité d’approcher les récurrences du monde qu’Emmanuel Audibert développe depuis 2013 au sein de sa compagnie 36 du mois. Dans le hall du théâtre, une petite exposition nous introduit à sa poétique et au personnage qui l’incarne, joué par Emmanuel Audibert lui-même : Monsieur Lorem Ipsum. Soit un savant dont la folie consiste à ranimer des choses qui ont déjà bien servi.
Un jukebox en bois, où niche un petit pianiste articulé jouant à la demande du visiteur des morceaux d’Erik Satie, nous informe par exemple du goût pour la musique du protagoniste éponyme de Qui est Monsieur Lorem Ipsum ? (2013), acte de naissance de ce dernier. Son goût pour la bidouille high tech ne fait pas de doute non plus. On devine aussi sa relation paradoxale aux nouvelles technologies qu’il emploie, en ce qu’elles sont mises au service d’objets anciens et d’autres qui ne le sont pas mais qui en donnent très bien l’impression. Vidée de ses tubes cathodiques, remplacés avec bonheur par des bonhommes de la taille du pianiste enfermé dans son jukebox, La télé révèle avec humour l’importance du détournement dans la démarche d’Emmanuel Audibert. Faite en six épisodes, la série qui s’y joue reprend les codes de la saga familiale télévisuelle pour aborder tout en légèreté des questions écologiques. Hors télé, une Madame en bois de 15 centimètres danse, rêve et fait bien d’autres choses grâce à 17 moteurs que l’on voit mais qu’on oublie. De même que ceux qui font gesticuler et tomber dans leurs boites Les Humbles…
Au cœur de cette collection d’objets très mécanisés et pourtant d’apparence très simples, enfantines, une créature en particulier témoigne des idées fixes d’Emmanuel Aubidert : Mario, présenté comme « la première peluche, le premier objet, le premier singe et premier danseur que Monsieur Lorem a animé ». Car dans Mise à nu, qu’il décrit comme le dernier volet du triptyque consacré à Lorem, ce dernier est accompagné d’un Grand Singe au poil fatigué de peluche arrivée en fin de vie. Et dans son spectacle précédent déjà, On était une fois, aussi présenté pour MARTO à La Piscine, des peluches mécanisées formaient le public d’un « spectacle de On », interprété par des musiciens hauts comme des Playmobils. Le duo formé par Emmanuel Audibert et son primate est d’autant plus touchant qu’il est précédé de toutes les expériences citées plus tôt. Il en est même en quelque sorte le condensé. En mettant en scène la relation de Lorem Ipsum avec un seul de ses automates-marionnettes, Mise à nu donne à voir les fondements d’un geste qui aime à se démultiplier en un passionnant et ludique jeu d’échelles.
D’abord en caleçon derrière son piano, où il enchaîne Nocturnes et Préludes, puis dans diverses tenues rituelles d’ici et d’ailleurs qu’il enfile sous notre nez et celui de son Grand Singe planté sur son tabouret, Emmanuel Audibert prend pour la première fois la place du musicien qui apparaît dans la plupart de ses créations sous la forme d’un petit jouet. Il révèle ainsi ce qu’il y a d’intime derrière ses bricolages, qui ne disparaissent pas pour autant. Au sommet d’une arche en bois surplombant la partie avant du plateau, un castelet tout mécanisé, contrôlé à distance par Kevin Maurer, empêche toute équivoque quant à l’origine des mouvements du singe. Le livre qu’il tient en début de spectacle, par exemple, y est très clairement attaché par des fils. En enlevant plus tard des mains de son compagnon à poils et à batterie cet ouvrage, Emmanuel Aubidert rendra toute hésitation impossible concernant sa créature : son autonomie est une illusion. Ce qui n’empêche pas Monsieur Lorem Ipsum d’entretenir avec elle une conversation sur la vie.
Mêlant morceaux de piano joués par l’humain, citations littéraires et philosophiques prononcées par le singe et autres nombreux événements minuscules tels que les coups de fil d’un ami déprimé ou l’intervention d’une radio capricieuse, Mise à nu est fait de petites touches entre lesquelles le spectateur a toute sa place. Invité au cœur d’un dialogue tendre et absurde entre un créateur et son œuvre, il voit de près ce qui les relie, et même ce qui les fait exister tous les deux : la décision de voir le monde du côté de la joie. Leur méthode est exemplaire en matière de sobriété. Elle repose sur l’écoute et l’imaginaire, sur la croyance en d’autres mondes possibles, basés sur la poésie et l’amitié.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Mise à nu
Écriture, marionnette, jeu Emmanuel Audibert
Écriture, dramaturgie, mise en scène Jennifer Lauro-MarianiConstruction, scénographie Fred Dyonnet
Construction, régies Kevin Maurer
Costumes, tissus Rebecca Bouvier
Production, administration Clotilde Fayolle
Production, diffusion Acolytes – Vanina MontielProduction 36 du mois
Coproduction MIMA, Odradek, Théâtre de l’Usine, L’Usinotopie, Espace Jéliote – Scène Nationale Marionnette en préfiguration, Marionnettissimo, Le Périscope – Scène conventionnée pour les Arts de la marionnette, Anis Gras – Le lieu de l’Autre, Le Théâtre de Cachan, Le Théâtre des Nouveautés, Le Parvis, Scène Nationale de Tarbes.Accueils en résidence La Métairie des Arts, Association Des Clous.
Soutiens Le département du Val-de-Marne, le département du Lot, la DRAC Occitanie, la Région Occitanie.
Durée : 1h15
Théâtre Jacques Carat – Cachan (94)
Le 22 mars 2023Festival Méliscènes – Centre culturel Athéna – Auray (56)
Les 24 et 25 mars 2023ScénoGraph, Théâtre de l’Usine – Saint-Céré (46)
Le 31 mars 2023L’Arsenic – Gindou (46)
Le 6 mai 2023
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