Au Théâtre National de Strasbourg, Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel tentent l’impossible : trouver le ton juste pour parler de la situation des migrants en France, en particulier des plus jeunes et vulnérables d’entre eux, les mineurs non accompagnés. Un défi sous la forme d’une représentation à caractère documentaire suivie d’un échange avec le public. Aux confins du poétique et du politique, comment se coltiner le réel ?
Les M.N.A. (mineurs non accompagnés) sont ces jeunes migrants qui ont moins de 18 ans et arrivent en France sans famille pour s’occuper d’eux. Venus du monde entier, principalement d’Afrique, ils doivent légalement être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (A.S.E), institution financée par les départements. Pour cela, ils doivent faire reconnaître leur minorité, ce qui n’est souvent pas simple. Leur parole est mise en doute, la validité de leurs actes de naissance contestée et on recourt – de moins en moins – à des tests médicaux dont la fiabilité est largement remise en cause par les scientifiques eux-mêmes. Ils doivent souvent se débrouiller seuls pour (sur)vivre pendant ces longues périodes de procédures, trouvent parfois assistance dans la société civile (associations et hébergeurs). Les plus chanceux (souvent les plus jeunes) peuvent être mis à l’abri par les départements dans des hôtels, des foyers ou des centres. Qui pourront aussi constituer leur lieu de vie une fois qu’ils auront été reconnus mineurs. S’ils l’ont été. Sinon, ils retournent à la rue.
C’est dans l’un de ces centres, ou plutôt dans trois centres de ce genre que Yoann Thomerel et Sonia Chiambretto ont séjourné, un mois à chaque fois, du côté de Caen. Pour partir à la rencontre de ces M.N.A mais aussi de celles et ceux qui les assistent. Des éducateurs notamment qui œuvrent dans des conditions précaires : manque de moyens, lieux incommodes, formation défaillante, contraintes institutionnelles etc. Les deux auteur.e.s et metteur.e.s en scène ont créé à partir de là un spectacle hybride, faisant se succéder représentation et échange avec le public, dans un style documentaire qu’ils veulent imprégné de leur poésie.
Le sujet est délicat. Les enjeux multiples. Sonia Chiambretto l’a très bien saisi, qui relate avoir dû naviguer entre de possibles écueils – le misérabilisme, le militantisme, la prise de parole « à la place de » par exemple – pour construire « sur un fil » une relation de son expérience vécue, et surtout de celle que traversent jeunes migrants et personnel éducatif. Les deux artistes ont donc décidé de présenter eux-mêmes ce spectacle. Micro à pied au milieu d’un terrain de foot dessiné sur une moquette verte et de ballons usés récupérés au centre d’accueil ( qui, aux dires d’un jeune, « même dans (s)on pays ne sont pas aussi pourris que ceux d’ici »). Découpé en 9 chapitres, la représentation documentaire traverse le quotidien de ces jeunes gens et de ceux qui les entourent, mais aussi leurs interactions avec ces deux écrivain.e.s venu.e.s à leur rencontre. Yoann Thomerel porte ce récit avec une distance amusée qui ne tourne jamais moqueuse quand Sonia Chiambretto se tient plus sérieuse. La suspicion systématique sur l’âge, le secours qu’apporte une femme de ménage de la Défense, une découverte des lieux et du quotidien du centre, la solidarité communautaire, le passé douloureux qui affleure et revient par vagues, ceux qu’on a laissés en partant, la représentation se pose sans jamais s’attarder sur les heurs et malheurs de ces M.N.A, dans un rythme soutenu. Archives audio, vidéo et photographiques récoltées lors des séjours dans les centres accompagnent le récit oral de cet accueil qui a pour mérite minimal d’exister.
De le vie et la situation de ces jeunes gens, « on sait et on ne sait pas » dit avec justesse Sonia Chiambretto. Les plus avertis regretteront de ne rien apprendre ou que soit trop peu dénoncée la violence institutionnelle à laquelle ces jeunes sont confrontés. Les fans de théâtre que tout cela n’en serait pas. Les « anti » la bien pensance du tout. Le terrain est miné et dans ce cadre la poésie que revendiquent Yoann Thommerel et Sonia Chiambretto ambitionne d’apporter un nouveau regard sur une situation que discours politiques et médiatiques ont souvent usée et déshumanisée. Les deux artistes procèdent par petites touches, par évocations suggestives, sensibilisent avec douceur, humour et dans une forme de légèreté, laissent la réflexion du spectateur se construire. Au risque certainement d’une forme d’impressionnisme qui n’imprime pas assez. C’est alors que l’échange avec le public qui succède à la représentation proprement dite permet d’en savoir davantage sur la situation des M.N.A. De leur statut de remplaçant au foot, pour des parties lors desquelles on préfère les joueurs du cru, mais, plus grands, plus forts, qu’on sort du banc, quand la défaite se profile. Pour marquer des buts. Image éloquente. Comme l’exprime une jeune femme éducatrice présente dans la salle, on ne peut que se réjouir de voir leur situation ainsi visibilisée. Surgir sur le terrain. Quand un ancien M.N.A prend la parole pour relater son parcours et remercier celles et ceux qui l’ont aidé, le pari paraît gagné.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Mineur non accompagné
Texte à partir des textes FOTBOOL de Sonia Chiambretto et Les assiettes volantes de Yoann Thommerel
Conception et mise en scène Sonia Chiambretto, Yoann Thommerel
Avec
Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel
Scénographie Marine Brosse
Lumière Neills Doucet
Régie générale Simon Anquetil
Photographie Maxence Rifflet et Michaël Quemener
Production/Administration Fanélie Honegger
Production Le Premier épisode, La Comédie de Caen – Centre dramatique national
Avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles
Spectacle crée le 7 décembre 2022 à la Comédie de Caen – Centre dramatique nationalDurée 1h30
Théâtre national de Strasbourg
Du 17 au 25 mars 2023
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