Le chorégraphe iranien Sorour Darabi adapte le recueil de contes les Mille et une nuits en un opéra transdisciplinaire queer, où la vulnérabilité des corps jaillit dans une atmosphère nocturne dense. Avec performeurs et musiciens, ils façonnent ensemble un monde fascinant, en métamorphose, qui défie la binarité.
À quoi ressemble un opéra queer ? Avec Mille et une nuits, Sorour Darabi propose des éléments de réponse. Le chorégraphe et danseur iranien vivant en Europe, s’empare du recueil de contes persan, indien et arabe pour créer un pièce transdisciplinaire, qui allie musique, sculpture et danse, offrant tout de même une place centrale à cette dernière. Remarqué grâce au solo viscéral Farci.e, qui interrogeait l’impossibilité de nommer la non-binarité, faisant du genre une matière chorégraphique, il continue depuis à explorer la vulnérabilité et la sensibilité des corps. Encore une fois, il déploie des danses sensuelles dans une atmosphère mystérieuse, imprégnée de culture perse. Dans un espace où l’obscurité devient une matière, il partage le plateau avec quatre performeurs, danseurs et chanteurs, et, dissimulé dans la nuit, trois musiciens.
On se sent très vite enveloppé dans l’ambiance nocturne de ces Mille et une nuits. En entrant, on frôle Sorour Darabi, sculptural et ondulant. Dans l’espace quadrifrontal, conçu pour la déambulation, le public reste plutôt statique, comme obnubilé par ce qu’il se passe au centre. Des figures surgissent, éclairées par des spots dans l’obscurité. Elles évoluent autour de des grands cailloux de glace, suspendues au plafond grâce à des chaînes, dans lesquels sont pris des cheveux et des tissus. Au fil de leurs ondulations sensuelles, l’espace se transforme, devient une matière dense, palpable. Dans l’eau qui goutte des grosses sculptures, éclairées par les spots – qui ressemblent à des gros lampions ou des cristaux magiques – les danseurs se frottent sur le sol et entre eux. Est-ce un cabinet de curiosité ? Un théâtre érotique ? Un club de strip-tease ? Une version ralentie du clip Dirrty de Christina Aguilera ?
Cette nuit semble renfermer des secrets, des êtres qui ne peuvent pas se mouvoir en plein jour. Des voix résonnent dans cet entre-deux. Elles sont sinueuses, déformées. Elles coulent sur les nappes sonores, où les sons se mélangent, flûte traversières, réminiscences de musiques perses, arabes, beat électro et grésillements. Est-ce en cela cette adaptation des Mille et une nuits est-elle queer ? Peut-être est-ce en faisant résonner des voix transgenres, à la marge des canons opératiques ? En plongeant dans une atmosphère liminale, un monde entre-deux, qui résiste à la binarité ? En naviguant librement entre les disciplines, défiant la hiérarchie ?
Sorour Darabi, serait-il la Shéhérazade de cet opéra-ballet abstrait ? Il titube au milieu de la scène, entouré des autres performeurs, qui sont traversés par une vague sexuelle, qui fait pulser leurs bassins. Les corps sont exposés, dans une vulnérabilité radicale, protégés par la nuit, dévoilés brusquement dans la lumière crue des flash. Celui de Darabi en premier, à la bouche remplie de bougies allumées, baladée par son partenaire, le dos arqué, dans un élan de soin et d’affection. Avec ce Mille et une nuits, le chorégraphe crée un espace mouvant, en perpétuel transformation, qui esquisse un futur queer, que l’on espère continuer à voir se déployer.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Mille et Une Nuits
Chorégraphie, conception, textes et direction artistique : Sorour Darabi
Performeurs, chanteur, acteurs et musiciens en live : Aimilios Arapoglou, Li-Yun Hu, Felipe Faria, Lara Chanel, Sorour Darabi, Pablo Altar, Florian Le Prisé et Ange Halliwell
Composition musicale : Pablo Altar, Florian Le Prisé
Coach vocal : Henry Browne
Création lumière : Shaly Lopez, Dani Paiva de Miranda
Scénographie : Alicia Zaton
Costumes : Anousha Mohtashami
Production exclusive : DEEPDAWN / Sorour Darabi
Chargée de production et diffusion : Jenny Suarez
Chargé d’administration : Martin Buisson
Remerciements : Palmina D’Ascoli, David Lopez, Thomas Gachet
Coproduction : Festival Montpellier Danse, CCN – Ballet National de Marseille, Arsenic – Centre d’art scénique contemporain, Festival d’Automne à Paris, La Villette – Paris, Centre National de la Danse de Pantin, Tanzquartier Wien, Transfabrik – Fonds franco-allemand pour le spectacle vivant, Charleroi Danse, Theaterformen festival.
Avec le soutien de La Manutention Palais de Tokyo, Centre National de la Danse de Pantin, Trauma Bar Und Kino, Tanzhaus Zürich, PACT Zollverein et Poetic Societies.Durée 2h15
Création à Montpellier Danse 2024
Studio Bagouet / Agora
28 – 30 juinFestival d’automne
La Villette
16- 19 octobre
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