Au Théâtre du Chêne Noir, le comédien s’empare du roman d’Olivier Guez consacré à la cavale sud-américaine du médecin nazi et ravive le souvenir de la monstruosité propre aux régimes d’extrême droite.
Dans les égouts de l’Histoire, Josef Mengele occupe une place à part. Officier SS et médecin de son état, « L’Ange de la Mort » n’a, comme d’autres dignitaires nazis, jamais pu être jugé pour les crimes qu’il avait commis dans le camp d’Auschwitz où, à partir de 1943, il réalisa une série de cruelles expériences médicales sur des déportés. D’abord chargé de trier les prisonniers selon leur âge et leur état de forme physique, ce féru de génétique, par ailleurs docteur en anthropologie, a rapidement pu s’adonner à des expérimentations fondées sur plusieurs de ses obsessions : la gémellité, le nanisme, les personnes aux yeux vairons et atteintes de difformités anatomiques. Pour satisfaire sa quête pseudo-scientifique, l’homme n’hésitait pas à tuer, disséquer, amputer et infecter volontairement ses cobayes avec diverses maladies. Après quelques années d’errance dans l’Allemagne occupée, Mengele a finalement décidé de prendre la fuite, en 1949, pour rejoindre l’Argentine. Grâce à l’aide du régime péroniste, il échappe alors à toute arrestation et c’est cette cavale, cette évaporation, qui intéresse Olivier Guez dans La Disparition de Josef Mengele, dont le comédien Mikaël Chirinian s’empare au Théâtre du Chêne Noir.
Auréolé du Prix Renaudot en 2017, cet ouvrage a demandé plus de trois années d’écriture et de recherches à l’auteur français pour qui cette traque s’est transformée en épreuve. « C’est vite devenu très dur, témoignait-il dans un entretien donné au Monde au moment de la sortie du livre. Je ne souhaite à personne d’avoir à se lever, chaque matin, en pensant à Mengele. Je vivais avec lui, avec ce personnage abject, d’une médiocrité abyssale. Je montais sur le ring. Je l’affrontais. Les six premiers mois, il m’arrivait de crier son nom la nuit. » De ce combat littéraire, le roman conserve la trace et les stigmates. Olivier Guez y fait montre d’une âpreté assumée et d’une intransigeance totale à l’égard d’un homme qui, en l’espace de quelques années, est passé du rang de « pacha » à celui de « rat », de l’impression de toute-puissance nourrie par le sentiment d’impunité qu’il ressentait dans les rues de Buenos Aires au rejet dont il fut ensuite l’objet et qui le poussa à poursuivre sa cavale jusqu’au Brésil. En franchissant la frontière sud-américaine, Mengele entendait échapper aux agents du Mossad qui, lancés à ses trousses, avaient déjà réussi à mettre la main sur Adolf Eichmann, lui aussi réfugié dans la capitale argentine. Ce pari, le criminel de guerre l’a réussi en succombant à une mort naturelle, seul, sur une plage, en 1979, à l’âge respectable de 67 ans.
Pour donner à entendre le récit de cette fuite en avant, Mikaël Chirinian fait le choix, éminemment simple, mais diablement efficace, de l’adresse directe au public. Seul en scène devant une collection de Unes de journaux, de portraits, de cartes et de photos, il adopte, d’abord, le ton neutre et froid propre aux narrateurs extérieurs, avant de peu à peu se laisser envahir, pour ne pas dire contaminer, par l’esprit de Josef Mengele. Avec aplomb et intensité, qui le conduit parfois à certains excès, le comédien dessine les soubresauts psychologiques qui agitent le monstre nazi, terrifié par l’idée de se faire capturer et condamner à mort, mais sans aucun remords, ni aucune compassion à l’égard de ses victimes. Malgré la mise en scène peu riche en idées de Benoît Giros, Mikaël Chirinian porte cette adaptation, particulièrement fluide et limpide, à la seule force de son jeu, et réussit à embarquer, et à faire frémir, son monde, grâce à un rythme théâtral singulièrement bien trouvé. En ces temps politiques puissamment troublés, cette Disparition de Josef Mengele apparaît alors comme une piqûre de rappel bienvenue pour raviver le souvenir des monstruosités éhontées commises par des agents liés à un régime, et à une idéologie, d’extrême droite.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Disparition de Josef Mengele
d’après le roman d’Olivier Guez
Adaptation et jeu Mikaël Chirinian
Mise en scène Benoît Giros
Création sonore Isabelle Fuchs
Création costume et scénographie Sarah Leterrier
Création lumière Julien Ménard
Régie générale Eric SchoenzetterProduction Compagnie L’idée du Nord
Coproduction Matrioshka Productions et le Théâtre du Chêne NoirLe spectacle bénéficie du soutien du dispositif Adami Déclencheur. La compagnie L’idée du Nord est conventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication, la Direction Régionale des Affaires Culturelles Centre Val de Loire et par la Région Centre Val de Loire.
Durée : 1h10
Festival Off d’Avignon 2024
Théâtre du Chêne Noir
du 29 juin au 21 juillet (relâche les 1er, 8 et 15 juillet), à 18h
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