Dans sa dernière création donnée au Festival d’Avignon, la compagnie portugaise Formiga Atómica tente de dessiner des futurs possibles comme autant d’alternatives à la fin du monde, pariant sur la force de l’imaginaire pour contrecarrer l’effondrement. Hélas, la proposition tourne trop souvent à la démonstration dans un dispositif de conte philosophique qui alourdit la théâtralité.
Avec le chaos politique français, la menace de la bascule autoritaire, la question migratoire qui cristallise si exagérément les débats, on a tendance à oublier que la question la plus importante, celle qui devrait occuper nos choix de sociétés, est celle du lien au vivant, du dérèglement climatique et des menaces corollaires qui pèsent de plus en plus lourdement sur les inégalités sociales et, in fine, remettent en cause l’habitabilité de la planète Terre. On ne pouvait donc que se réjouir de voir ces thématiques figurer au premier plan de Terminal (L’État du monde) et, par là, du Festival d’Avignon. Las, la compagnie portugaise Formiga Atómica les porte sur scène dans une forme qui ne stimule pas beaucoup la pensée et use d’une théâtralité bien décevante. Comme l’énonce le spectacle, et bien qu’on aime pourtant à le croire, le théâtre ne changera pas le monde.
Nos espoirs étaient également nourris par la démarche de terrain effectuée par la troupe ibérique en amont du spectacle. Des recueils de paroles contradictoires en territoire portugais, mais également à Lyon et Avignon, autour du futur souhaitable pour nos sociétés. Un exercice d’ouverture et de confrontation des imaginaires dont on peut également trouver trace au Café des idées dans le Cloître Saint-Louis et au cinéma Utopia (Manutention). Cette pluralité des possibles, qui veut combattre le sentiment angoissant que tout serait d’ores et déjà perdu, structure ce spectacle conçu comme un conte philosophique. Les habitants d’un monde dévasté par les crues, un temps sauvé par un enfant qui fait alliance avec un boa, doivent urgemment choisir une porte de sortie et partent pour cela à la découverte de nouveaux mondes. Les futurs possibles se confrontent par l’intermédiaire du récit de leurs expériences. On y traverse, par exemple, un monde du comme avant libéral, où tout, jusqu’au langage, devient marchandise et est corseté par la dette, mais aussi un monde du tout vert, dont on comprend qu’il crée artificiellement l’illusion d’évoluer dans un rapport authentique au vivant, alors qu’il ne fait, en réalité, que perpétuer une volonté de domestiquer la Nature.
Dans une scénographie qui se marie à merveille avec le Cloître des Célestins – de grosses racines d’arbres qui se fondent presque naturellement dans le mariage entre végétal et minéral du lieu –, les quatre interprètes, un musicien et une narratrice-musicienne, incarnent très peu, racontent surtout, déploient le récit de ces territoires imaginaires qu’ils arpentent pour dessiner un avenir. On en comprend que trop, hélas, la dimension métaphorique, la façon dont ils se rapportent aux nôtres. Avec ses costumes post apocalyptico-médiévaux, à la manière d’un Game of Thrones, la compagnie tente de nous embarquer dans cette dystopie qui, malheureusement, même à coup de machines à fumée et de jeux de lumière soulignés, ne parvient jamais à créer un véritable espace de fiction. Le travail s’inscrit dans un diptyque dont la première partie – L’État du monde (un dur réveil) – était destiné au jeune public. Et, malgré un récit touffu qui complique inutilement les choses, c’est bien ce sentiment d’être pris par la main, comme un élève, et d’être placé face à des tableaux où l’on nous montre bien du doigt ce qu’il faut en comprendre, qui prédomine tout du long. Les intermèdes musicaux, la mise en abyme du théâtre, grâce à une rangée de fauteuils rouges directement rapportés du Théâtre National de Sâo Joâo de Porto, n’empêchent pas d’avoir l’impression de se retrouver face à ce que l’on nous a raconté du mauvais théâtre brechtien des années 1970.
Pour autant, il y a dans la simplicité de ce théâtre et la conduite d’un récit, qui ne donne finalement pas d’autres leçons que d’inciter à penser un futur pour échapper à la fin du monde, un caractère éminemment sympathique et une véritable proximité, relayée par l’image d’une troupe dont la bienveillance ne paraît absolument pas surjouée. Les regrets n’en sont que plus vifs, qu’animés d’intentions théâtrales louables et bien tournées, Inês Barahona au texte et Miguel Fragata à la mise en scène en donnent une expression trop scolaire.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Terminal (L’État du monde)
Texte Inês Barahona
Mise en scène Miguel Fragata
Avec Anabela Almeida, Vasco Barroso, Miguel Fragata, Carla Galvão, et Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves (musiciens)
Scénographie Eric da Costa
Musique Hélder Gonçalves
Lumière Rui Monteiro
Costumes José António Tenente
Assistanat à la mise en scène Beatriz Brito
Aide au mouvement Victor Hugo Pontes
Construction des décors Eric da Costa, Paula Hespanha, João Salgado, José Pedro Sousa
Régie générale Nuno Figueira, Luís Ribeiro
Régie son Nelson Carvalho, Tiago CorreiaProduction Formiga Atómica
Coproduction Teatro Nacional Dona Maria II (Lisbonne), Teatro Nacional São João (Porto), Cine-Teatro São Pedro de Alcanena, Lavrar o Mar (Aljezur), Rádio e Televisão de Portugal, Teatro Municipal de Ourém, Teatro Virgínia (Torres Novas), Teatro Viriato (Viseu), Trigo Limpo teatro Acert (Tondela), Théâtre du Point du Jour (Lyon), Festival d’Avignon
Avec le soutien de la République portugaise ministère de la Culture Direção-Geral das Artes (DGArtes) et pour la 78e édition du Festival d’Avignon : Fondation Calouste Gulbenkian – délégation en France, Ambassade du Portugal en France, Institut Camões
Avec l’aide de Centro de Experimentação Artística (Vale da Amoreira), SDivine Fátima Hotel Congress & Spirituality, Polo Cultural Gaivotas Boavista (Lisbonne), Teatro Meridional (Lisbonne)
Résidence La FabricA du Festival d’AvignonDurée : 1h30
Festival d’Avignon 2024
Cloître des Célestins
du 15 au 21 juillet (sauf le 17), à 22hThéâtre du Point du Jour, Lyon
du 20 au 23 novembre
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