Michel Raskine nous fait redécouvrir cette pièce de Heiner Müller. Il y a la marquise de Merteuil et Valmont. Mais aussi d’autres personnages, qui sont incarnés par deux comédiens merveilleux Marief Guittier et Thomas Rortais. Ils passent des rôles masculins aux rôles féminins dans cette pièce transgressive sur le genre et le travestissement. Michel Raskine fait aussi des clins d’œil à Beckett. Rencontre avec le metteur en scène.
Heiner Müller est présent sur scène. Son portrait est scotché, il observe la scène et la salle. Pourquoi était-il si important qu’il soit là ?
C’est un clin d’œil. Il y a beaucoup de photos célèbres avec son cigare, ici il n’a pas son verre de Whisky. On voit ce grand front très intelligent, ce regard perçant. Cela m’a apparu comme une évidence qu’il soit dans le décor avec son air sérieux et si profond. On lui colle un nez rouge avec du rouge à lèvres, car c’était un provocateur. Il dit que cette pièce est une farce. Alors on essaye de le suivre.
C’est aussi un spectacle à la fois provocant et raffiné.
Ce texte est particulièrement sombre et tendu avec de l’intelligence et de la complexité dans toutes les tournures de phrases. Ce n’est pas forcément la provocation qui m’intéresse. Il y a ici une brutalité et une sauvagerie dans la pensée qui sont d’un extrême raffinement. Il connaît parfaitement bien la littérature du 18ème siècle et il glisse sa plume dans cette de Laclos.
Merteuil et Valmont jouent avec le monde qui les entoure. Cela permet toutes les ouvertures sur scène.
Il y a tout un jeu de miroirs. Le texte est assez ardu à la lecture mais ce n’est pas de l’oratorio. C’est fait pour être joué. C’est un bloc de granit impénétrable et quand on creuse on rencontre les failles et les ouvertures. C’est une matière formidable.
Et cette matière permet de jouer sur le travestissement et sur le genre.
La pièce date des années 80 et c’est l’un des thèmes. Et c’est très troublant. Les femmes jouent des hommes et inversement. Les âges se mélangent et tous les niveaux se brouillent. Dans la dernière scène qui est renversante de brutalité et de violence, on ne sait pas si Valmont est tué ou se suicide. Chez Laclos, il meurt en duel, on dit aussi que ce serait un suicide déguisé. Mais dans cette scène qui parle. L’homme ? Ou l’homme en femme ? En sachant que l’autre partenaire est un Valmont interprété par Merteuil. On est au cœur du Quartett. C’est toute la complexité de la pièce et son enjeu : comment raconter quatre personnages joués par deux acteurs. C’est difficile et c’est jouissif.
Et la pièce est jouissive aussi par sa forte charge sexuelle.
Elle est quasiment omniprésente. C’est l’autre thème de la pièce. Si l’on devait comprimer la pièce ce serait le sexe et la mort. C’est troublant, palpitant et probablement assez dérangeant aussi. Elle est crue, elle n’est pas scandaleuse, elle est simplement brutale. Et s’il y a scandale cela vient de la simplicité du langage et de la pensée. Oui c’est une pièce crue.
L’environnement musical est très présent, avec beaucoup de musique techno.
C’est un retour au son pour moi. Il est présent tout le temps mais ne doit pas gêner l’écoute. Les acteurs doivent être au premier plan, ils doivent être devant le son, la lumière et l’image. Il y a aussi de la musique classique. La techno c’est le sang qui bat dans les veines. C’est un monde souterrain. En même temps Heiner Müller demande que cela se passe dans un bunker. Dans ses didascalies il dit que l’action doit se passer dans « un salon d’avant la Révolution française et un bunker d’après la 3ème guerre mondiale ». C’est une indication dramaturgique sur le sens de la pièce.
Et parmi les autres clins d’œil, il y a celui à Beckett puisque la Marquise de Merteuil est enfoncée au sommet d’un monticule comme Winnie dans « Oh les beaux jours »
C’est un hommage non dissimulé. Cela vient du fait que j’adore cette pièce et que je ne la monterai peut-être jamais. J’ai été très frappé des résonances entre l’univers de Müller et celui de Beckett. C’est plus le début de Fin de Partie qui m’a inspiré. Merteuil est dans la position de Hamm par rapport à Clov, elle maitrise le jeu.
Marief Guittier est indissociable de tous vos spectacles. Et l’on découvre Thomas Rortrais, un jeune comédien.
Je n’envisage pas de faire du théâtre sans Marief Guittier et la rencontre avec Thomas Rortrais a été miraculeuse. Il n’a que 24 ans, et il est déjà très mature et il a une très grande présence scénique. Et c’est une grande surprise de les voir ensemble car la plupart du temps Merteuil est plus jeune et Valmont plus vieux. C’est une façon pour moi de redynamiser la pièce qui est déjà un classique contemporain avec une tradition dans la représentation. Et je me suis dit pourquoi faire un jeune Valmont pour l’éternité qui ne va pas survivre, mais elle le rêve. Müller dialogue avec les fantômes. Valmont est un fantasme absolu de la beauté pour l’éternité.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON
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