Confuse, hurlante, fière de son art provocateur d’arrière-garde, la pièce du metteur en scène chinois Meng Jinghui, cousine éloignée de l’oeuvre de Lao She, offre au public avignonnais une éprouvante soirée, la pire depuis le début de ce 73e Festival.
La Maison de thé était porteuse d’espoir. Venu tout droit de Chine, le projet promettait une triple découverte aux spectateurs avignonnais : celles d’une pièce méconnue en France, de l’auteur Lao She – qui reste parmi les premières victimes de la Révolution culturelle – et du metteur en scène Meng Jinghui, spécialiste de Beckett, Dario Fo et Ionesco, et présenté comme le « pionnier d’un théâtre d’avant-garde engagé, créatif, imprégné d’humour et d’ironie ». Las, à l’Opéra Confluence, devant un public largement désemparé, la soirée a bel et bien tourné au désastre.
Trois heures durant, sans aucun répit, La Maison de thé sera restée portes closes, fermée à quadruple tour par l’art agressif et boursouflé de son metteur en scène. D’entrée de jeu, le cadre est posé : assis sur des chaises, alignés en rang d’oignon, les nombreux comédiens tirent à boulets rouges textuels sur leur auditoire. Hurlant jusqu’à l’épuisement – l’un des gimmicks de ce 73e Festival – ils déforment la langue, vocifèrent les mots, jusqu’à les rendre inaudibles, voire insupportables. La suite sera à l’avenant, et restera comme un empilement de scènes hypertrophiées, déroulées devant un public qui s’éclipse par grappes entières, sans doute accablé par tant de confusion.
Car, à trop vouloir « percuter l’esprit », à entraver toute possibilité de compréhension – assumée par l’un des comédiens qui avoue « ne pas savoir ce qu’il joue » sous les applaudissements rageurs de la salle –, Meng Jinghui a vidé le texte de Lao She de sa substance. Perdu au milieu d’une écriture de plateau faiblarde, il n’en reste qu’un squelette bavard auquel il faut âprement lutter pour tenter de se raccrocher. Se distingue l’histoire d’une communauté, réunie autour d’une maison de thé, percutée par une révolution qui, en même temps que la république, amène son lot de perversions (prostitution, culte de l’argent…) venues d’Occident. Une trame, supputons-le, garnie de sous-texte qui permet au directeur du Théâtre du Nid d’abeille de Pékin de ne pas directement éveiller les soupçons du régime chinois, mais laisse les spectateurs, dépourvus des clefs de compréhension nécessaires, intensément frustrés.
Passablement énervés, aussi, par une proposition scénique qui, alors qu’elle se veut moderne, a tout du théâtre d’avant-hier. Gâchant tout embryon d’idée, ce déferlement de sang, de crachats et de vulgarité à tous les étages rappelle les vieilles heures de la scène allemande qui, aujourd’hui, n’intéressent plus personne. Sous les lumières criardes de Wang Qi, même l’immense roue – qui a nécessité quatre jours de montage – ressemble à un triste échafaudage et s’affiche comme un symbole de laideur et d’inutilité, qui ne servira réellement que dans les toutes dernières minutes. Dans ce marasme, surnage le groupe électro-rock Nova Heart qui, avec ses compositions bien senties, apporte paradoxalement un peu de réconfort. Las, il en faudra plus pour calmer les foudres d’une assistance à bout de forces, et de nerfs.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Maison de thé 茶馆
d’après Lao She
Mise en scène, adaptation Meng Jinghui
Dramaturgie Sebastian Kaiser
Avec Chen Lin, Chen Minghao, Ding Yiteng, Han Jing, Han Shuo, Li Jianpeng, Li Jingwen, Liu Chang, Liu Hongfei, Qi Xi, Sun Yucheng, Sun Zhaokun, Tian Yu, Wang Xinyu, Wei Xi, Zhao Hongwei, Zhang Hongyu, Zhang Juncheng, Zhang Zhiming
Et Li Xiaojun (chant), Li Yibo (batterie), Wang Chuang (guitare et basse)
Musique Hua Shan, Shao Yanpeng, Nova Heart
Scénographie Zhang Wu
Lumière Wang Qi
Vidéo Wang Zhigang
Son Hua Shan
Costumes Yu Lei
Assistanat mise en scène Li HuayiProduction Meng Theatre Studio
Coproduction Hybridités France-Chine
Avec le soutien du Ministère de la Culture et du tourisme de la République populaire de Chine, Sinoac Group
Résidence Wuzhen Theatre Festival
En partenariat avec France Médias MondeDurée : 3 heures
Festival d’Avignon 2019
Opéra Confluence
9 10 | 12 13 14 15 16 | 18 19 20 juillet à 20h
J’ai assisté à la première ce mardi 9 et je ne peux que partager votre analyse. Les vociférations des premières 30 minutes engagent à fuir sur le champ. Ce n’est certes pas la faute des comédiens qui effectuent une belle performance, certains mêmes en s’abimant les cordes vocales. Nous sommes restés jusqu’au bout avec parfois une furieuse envie de partir tout comme de nombreux spectateurs. Il n’y a aucun repère scénique (ni costumes ni accessoires) permettant d’identifier les personnages lorsqu’on a les yeux rivés sur la traduction. Donc au début on reste un moment avant de savoir qui est qui sur scène parmi les 20 comédiens statiques qui se répondent, ce qui agace très rapidement. La séquence vidéo directe apporte un peu d’ame et je me demande s’il n’eut pas fallu l’utiliser plus massivement pour donner du corps à la mise en scène un peu comme dans Pablo au supermarché plus de René Pollesch dans les années 2000. Au final on sort frustré de cette expérience d’un théâtre malmené.