Méduses aborde le sujet du viol avec un tact et une douceur qui n’éludent pas les enjeux du propos et révèlent une jeune autrice et comédienne attachante, Mélie Néel. Ou comment nager en eaux troubles tout en gardant la tête hors de l’eau.
Méduses est un pluriel et cela a son importance dans ce monologue qui se fait l’écho de multiples voix. Ecrit et interprété par Mélie Néel, ce texte témoigne d’une double naissance. Celle d’une autrice d’abord, la plume déliée, l’humour toujours caché en embuscade de la gravité, le goût des détails dégainé, une facilité à camper des atmosphères, à faire exister les parlures et postures de chaque personnage, à envoyer des punchlines sans jamais forcer le trait. Celle de sa narratrice ensuite, Papillon devenue Méduse suite à la bascule qui tranche sa vie en deux à l’adolescence, l’histoire d’une jeune fille qui se métamorphose sous nos yeux et retrouve sa faculté à vivre après un viol grâce à un groupe de paroles, lieu d’écoute avant tout. Dis comme ça on pourrait craindre un énième récit sur un sujet de société certes dans l’air du temps depuis l’avènement des différents #mee too et la libération des témoignages dans son sillon mais épineux tout de même. Dis comme ça on pourrait craindre le poids du propos et la décharge émotionnelle liée qui s’ajoute en chapelet à tous les autres. Ce n’est pas le cas.
Si Méduses place le viol en son coeur et en fait l’enjeu dramatique crucial et fondamental du spectacle, de façon tout à fait surprenante et paradoxale, il réussit à ne jamais peser sans omettre pour autant la déflagration traumatique, la difficulté à parler et se faire entendre, la complexité du parcours de reconstruction. Le mot en v n’est presque jamais prononcé, la scène fatale n’est pas éludée mais évoquée dans sa sidérante banalité et mise en perspective avec l’avant et l’après. L’insouciance et la naïveté de l’adolescence, les compétitions de natation et l’effet de bande, l’alcool comme facteur décomplexant, l’état amoureux et la timidité qui va avec, l’inconnu du sexe et l’attrait pour l’inconnu, tout est là, raconté à plusieurs voix par Mélie Néel qui navigue entre les personnages et les âges. Pas de chronologie linéaire ici, on entre dans le vif du présent à partir d’une confession phare livrée au micro face public, substantifique moelle de tout ce qui découlera ensuite. Dans le cadre sécurisé d’une thérapie de groupe, Méduse partage ce qu’elle a réussi à écrire après les murs de silence qui l’ont enfermé dans une impasse. En parlant, elle donne la possibilité au souvenir de prendre corps devant nous plutôt que de se diluer dans les eaux troubles de la honte et du refoulé. En parlant, elle tient tête à sa propre histoire.
Seule en scène, Mélie Néel incarne tour à tour tous ceux qui gravitent autour de Papillon puis Méduse. Elle enfile un chandail rouge et sa mère lui donne la réplique. Elle prend un accent de l’Est et l’animatrice du groupe de parole se fait entendre. A partir de trois fois rien, une modification du débit, du ton, de l’attitude, de la posture du corps, et un autre apparaît, créant ainsi une constellation issue du présent (les membres du groupe de parole) et du passé (les potes de jeunesse et de natation, en l’occurrence le cercle de la chambre d’hôtel avant le drame). La comédienne n’en fait jamais trop, ne joue jamais sur l’aspect “performance d’actrice”, elle esquisse et cela suffit. A l’image de la délicatesse du texte, le jeu est léger, jamais appuyé, limpide. Les situations se dessinent dans l’espace scénographié avec goût et ingéniosité par Simon Primard : une structure en bois surmontée d’étagères en fond de scène sur laquelle, outre les quelques éléments de costume ajoutés ou retirés, trônent les chaises utilisées dans le cadre de la thérapie collective. Chacune est unique, à l’une il manque un barreau, à l’autre deux, à une autre, tous. Une autre encore a les pieds de devant plus courts que ceux de derrière et l’assise en devient penchée. Des détails subtils qui matérialisent le côté cabossé des victimes et leur présence fantomatique.
A la mise en scène en binôme, Noémie Schreiber et Cécile Roqué Alsina orchestrent avec tact cette symphonie de voix qui viennent diffracter les points de vue, les ressentis et faire exister le contexte de chaque situation. Elles font de ce seule en scène un pluriel rythmé par ce ballet de chaises vides, debout et droites bien qu’amputées ou désaxées, solides et élégantes d’être en bois – matière noble par excellence, et laissent au sol ce cimetière de chaises en plastique noire, comme la marée des souvenirs qui va avec la scène de “renversement du monde”. Tout, dans ce spectacle, respire à la fois l’intelligence et l’humilité, les gestes sont sobres et mesurés, de la direction d’actrice à l’écrin scénographique évolutif, rien n’est trop et il y règne une étonnante douceur. A l’image de cette méduse bleue phosphorescente qui orne le décor comme un appel d’air vers l’imaginaire, ce spectacle sait ne pas s’embourber dans le réel et faire du récit de soi la possibilité même de la vie.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Méduses
Texte et jeu – Mélie Néel
Mise en scène – Noémie Schreiber & Cécile Roqué Alsina
Création Lumières – Noémie Richard
Scénographie – Simon PrimardPrix du Jury du « Festival Court mais pas vite » 2022
Durée : 1h15
A partir de 15 ansAthénée Louis Jouvet
Du 9 au 18 novembre 2023
Jeudi 9, Vendredi 10, Samedi 11, Jeudi 16, Vendredi 17, Samedi 18 novembre à 20h30Théâtre du Hublot
Décembre 2023
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