Pour sa première parisienne, Simon Stone, artiste désormais associé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, présente une de ses plus puissantes productions, une Médée venue d’Amsterdam jouée par les prodigieux acteurs du Toneelgroep dont Marieke Heebink incroyablement moderne dans le rôle-titre.
Son visage apparaît d’abord sur un mur-écran à l’avant-scène, puis sa silhouette, hiératique, une fois l’espace ouvert. Elle demeure souriante et un tantinet crispée, telle que l’impose la situation délicate des retrouvailles avec l’homme qu’elle a aimé et dont elle est séparée. Simple mais élégante, ni trop maquillée ni trop apprêtée, en simple jean et imperméable, elle arbore une quarantaine séduisante qui ne dissimule pas tout ce qu’elle a déjà dû encaisser. Une femme moderne et lambda, c’est ainsi que se donne à voir Médée.
Tout dans le théâtre de Simon Stone est hyper contemporain et audacieux. Le jeune metteur en scène sillonne le monde et travaille sur un rythme acharné avec les plus grandes troupes. Il relit, adapte, actualise, réinvente sans complexe des textes issus de répertoires très différents, de la tragédie antique à Tchekhov et Ibsen. La question de la fidélité à Euripide ne se pose pas. Il présente sa Médée, qui loin du mythe adopte le style et le verbe d’une personne d’aujourd’hui dans une réécriture à la fois détonante et bouleversante.
Médée et Jason se prénomment Anna et Lucas. Elle est ancienne chercheuse dans un laboratoire, virée de ses hautes fonctions après avoir tenté d’empoisonner son mari infidèle, ce qui lui a valu un passage en hôpital psychiatrique et la perte de la garde de ses enfants. Si l’identité du personnage change, son destin reste le même. Bafouée et désolée, elle se résout à tuer sa rivale et ses enfants. Addicts aux écrans numériques, les deux préadolescents scrutent la difficile séparation de leurs parents et captent les rares moments de bonheur familial inaccompli. La pièce prend l’aspect d’un drame intime, d’un fait divers et d’un cas clinique tout à fait fascinants. Ici, la folie destructrice du personnage se révèle être une pathologie complexe, grave et profonde.
L’espace est vaste et blanc, inondé d’une lumière éblouissante et pourtant d’une froideur glaciale. L’essence du travail de Simon Stone est de travailler au corps ses personnages, de les livrer intimement, d’en faire des êtres de chair et de sang, rendus visibles dans un état émotionnel qui confine au déchirement. Ce que les acteurs font tient du vertige, du choc. A commencer par Marieke Heebink, une des plus admirables comédiennes du Toneelgroep, primée en 2015 pour ce rôle qu’elle interprète à fleur de peau, pleine d’assurance et de fragilité, emplie d’amour et de folie, inquiétante et totalement imprévisible. Dans sa lente et impossible reconstruction, elle s’enfonce dans ses névroses mais transpire d’une humanité terriblement pathétique. Une pluie de cendre s’abat finement et ternit l’espace immaculé avant de se déposer sur le corps maternel qui recouvre ses enfants morts dans un final douloureux et apaisé. D’une manière sidérante, la pièce conjugue ainsi violence et beauté.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Médéa
Néerlandais surtitré français
D’après Euripide
Mise en scène Simon Stone
Dramaturgie Peter Van Kraaij
Scénographie Bob Cousins
Avec Fred Goessens, Aus Greidanus Jr., Marieke Heebink, Gaite Jansen, Bart Slegers
Production Toneelgroep Amsterdam
Durée : 1h20Odèon 6ème
Du 6 au 11 juin 2017
20h du mardi au samedi / 15h le dimanche
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !