Alors, que faire de ce texte? Pourquoi le défendre? A la lecture nous étions tiraillés : cette nouvelle ne romance-t-elle pas le sexisme et sa violence?
Tout commence de manière charmante : Pan se désole car sa vie est vide d’amour, que ne peut-il attirer à lui un « je t’aime » ? Jusqu’ici tout va bien. Mais par la suite, le récit prend un tournant violent : la drague devient course poursuite et, la nuit tombant, la femme se voit bloquée, menacée d’un viol.
En bon millenials, nous nous sommes demandés, embêtés, si ce texte que l’on aimait tant n’était pas un peu sexiste ? Comme souvent au 19ème : oui, il l’est. Il donne à voir sans que l’on s’en rende compte la violence des rapports de séductions, de pouvoir, et leurs chutes graduelles dans l’horreur. Mais c’est ce point dérangeant : le « sans que l’on s’en rende compte », qui nous a troublés et intéressés. On se retrouve complice, d’avoir été séduit, d’avoir souri aux blagues, de ne pas avoir vu arriver la violence, d’avoir cru encore une fois au charme de la domination masculine.
Ce spectacle visite nos féminismes, l’idée d’amour telle qu’on l’apprend aux garçons et aux filles, la place et les formes différentes qu’elle prend chez eux et questionne ce que l’on peut faire en son nom. Il permet aussi de ne pas rester seulement sur la parole du poète mais de tendre le micro à la comédienne, de l’entendre se réapproprier sa langue ou même de refuser ce paradigme et simplement quitter le plateau, refusant sa condition de personnage.
Le thème nous a tout de suite évoqué un parallèle avec le phénomène Incel. Pan pourrait s’émouvoir en lisant Houellbecq et s’épancher sur des forums misogynes. Comme l’auteur, il est amoureux de l’amour, l’amour qui pourrait venir et tout résoudre, absoudre. Pan n’aimera Syrinx qu’avant son arrivée et après sa disparition. Il est de ces hommes qui croient aimer les femmes mais que les femmes réelles, en chair et en os, excèdent au point qu’on a envie de leur dire, comme V. Despentes, d’aller se faire enculer.
La langue de Laforgue porte en elle problème et solution : il est complaisant mais nomme également un ras le bol de cette obsession de conquête des femmes. Il nomme la violence de ce paradigme sexiste pour tous. Il nous semble fertile d’utiliser ces contradictions, pour interroger ce phénomène, s’en moquer, mais également s’y intéresser. Il ne s’agit pas seulement de donner la parole aux monstres, mais de se demander de quoi leurs existences et leur littérature sont les symptômes.
Avec ce parallèle en tête le texte nous paraît extrêmement fertile, comique et violent. Pour toutes ces raisons, il vient questionner nos féminismes et se montre donc profondément d’actualité malgré son ancrage stylistique dans la fin 19e.
Pan et Syrinx
Adaptation Matthias Deau
Textes de Jules Laforgue, Leonid Andreïev, George Sand
Mise en scène Matthias Deau
Avec Jeanne Bodelet, Max Libert, Matthias Deau
Composition / MUSIQUE Max Libert Matthias Deau
Création lumière Mona Marzaq
Collaboration artistique Lune Villa Ambre MuniePartenaires / Soutiens Théâtre La Flèche, Flavie Fontaine Lycée Kertbertrand, Quimperlé Conservatoire du 5ème arr. de Paris
Théâtre La Flèche, Paris
tous les vendredis à 19h du 5 avril au 7 juin 2024
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