Plus de 20 ans après sa création au Théâtre de Chaillot, Gilles Bouillon reprend La place du diamant à L’Atalante. A 80 ans passés, Martine Pascal continue d’y sculpter avec grâce et délicatesse le bijou textuel de Mercè Rodoreda.
Comme un vestige exhumé des ruines théâtrales du passé. Créé en 1998 au Théâtre national de Chaillot, voilà La place du diamant ressuscité, plus de vingt ans plus tard, au Théâtre de l’Atalante. Le lieu n’a évidemment pas grand-chose à voir avec le faste de la scène de la place du Trocadéro, mais le récit de Mercè Rodoreda profite de sa configuration intimiste, qui lui donne des airs de confidence, de celle que l’on adresse seulement à quelques-uns, tels une bande de privilégiés.
Les années ont filé et marqué le visage de Martine Pascal, mais la comédienne n’a rien perdu de sa prestance et de son assurance. A 80 ans passés, elle cherche, d’entrée de jeu, le regard de chaque spectateur, comme pour mieux les embarquer, un à un, dans l’histoire qu’elle s’apprête à leur livrer. Avec sa démarche touchante, qui a la classe et l’emprunt de ces divas qui ne veulent jamais vraiment quitter la scène, elle plonge dans son personnage, et c’est tout un univers, le pan entier d’une vie dont elle ouvre les portes. Au son de sa voix, on se laisse guider, porter, par les mots de Mercè Rodoreda. Avec grâce et délicatesse, la comédienne sculpte leur poétique pour en faire jaillir les images, le sourire, le tragique aussi.
Face à un jeune homme (Gregor Daronian) en âge d’être son petit-fils – à moins que ce ne soit son fils ou le fantôme de son défunt mari – qui ne pipe mot, mais ne la quitte jamais du regard, Natalia se dévoile. Elle parle avec le flot interrompu de ceux qui ont trop longtemps gardé les choses retenues, et qui, au soir de leur vie, veulent se libérer, transmettre, confier, comme une grand-mère le ferait avec ses descendants. Car l’existence de cette grande dame, devenue iconique, fut tout, sauf un long fleuve tranquille.
Tout commençait idéalement, pourtant, place du diamant, lorsque la jeune femme était tombée sur Quimet, qui avait tout l’air d’être l’homme de sa vie. Une fois mariée avec celui qui l’avait surnommée Colometa – petite colombe – elle a rapidement eu un enfant sous chaque bras, Rita et Antoni, qui ont, eux aussi, vu partir leur père, le drapeau à la main, pour défendre la République espagnole face aux assauts franquistes. De cette guerre civile, Quimet ne reviendra pas, et Natalia devra trouver une solution pour continuer son périple et nourrir ses enfants, dont la survie ne dépend que de son courage.
Empreint des splendeurs et misères du quotidien, le récit de Mercè Rodoreda dépeint le portrait d’une pasionaria qui s’ignore, d’une héroïne ordinaire, comme les maisons de cette époque en compte tant. Conscient de cette force intrinsèque, Gilles Bouillon a opté pour un dispositif simplissime. Une estrade, un pigeon empaillé, une robe de mariée, une chaise pour Martine Pascal, un petit banc pour Gregor Daronian et quelques jeux de lumières un rien systématiques… Il n’en fallait guère plus car les mots de Mercè Rodoreda, simplement portés par le talent de la comédienne, se suffisent à eux-mêmes. Les plus pointilleux relèveront bien, çà et là, certaines anicroches, mais ces imperfections ne font qu’amplifier l’humanité et le charme de cette histoire de force vive, celle d’un diamant à l’état brut.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La place du diamant
de Mercè Rodoreda
Traduit du catalan par Bernard Lesfargues et Pierre Verdaguer (Editions Gallimard)
Adaptation Michel Cournot et Gilles Bouillon
Mise en scène Gilles Bouillon
Scénographie et costumes Nathalie Holt
Musique Dominique Probst
Lumières Stéphane Deschamps
Avec Martine Pascal et Gregor Daronian
Production Compagnie Gilles Bouillon
Coréalisation Théâtre de l’Atalante
La Compagnie G.Bouillon est subventionnée par le ministère de la CultureDurée : 1h
L’Atalante, Paris
du 20 février au 11 mars 2019
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