A trop vouloir embrasser, la jeune dramaturge mal étreint. Traversée par de bonnes intuitions, portée par un solide trio de comédiennes, sa recherche des racines de la radicalisation se délite à mesure qu’elle se disperse.
En 2500 ans, elle n’aura pas pris une ride. Condamnée à mort par son oncle Créon pour avoir voulu enterrer son frère Polynice, en dépit des lois de la Cité, Antigone est de retour. Incapable de trouver le repos, faute de rites funéraires en bonne et due forme, la jeune femme, vaguement réincarnée, est bien décidée à faire jouer « sa tragédie » aux élèves de son lycée et à transmettre le flambeau de la révolte aux nouvelles générations. Sertie dans sa toge grecque, l’Antigone de Sarah Berthiaume est pourtant plus proche de celle d’Anouilh que de l’héroïne de Sophocle. Plutôt qu’une femme inspirante et solide, sûre de son devoir et de ses valeurs, elle est une figure désacralisée, une adolescente réduite à sa contestation, au nom d’un absolu qui tourne à vide, et proclamant « Moi, je veux tout, tout de suite, – et que ce soit entier – ou alors je refuse ».
En écho, Jade, sa meilleure amie, est une jeune fille bien d’aujourd’hui. Comme toute adolescente qui se respecte, elle est en révolte contre le monde tel qu’il ne va plus. Pour vivre pleinement sa crise existentielle, elle fait des listes, seule dans sa chambre, contre le sucre, les voitures ou l’obsolescence programmée. Cela ne l’empêche pas d’être percluse de contradictions, de s’acheter une robe jetable pour son bal de fin d’année ou d’utiliser un iPhone pour discuter, sur Internet, avec un mystérieux interlocuteur dont elle s’est entichée. Sans lui parler, elle vit avec sa mère noctambule, Inès, lobotomisée par le télévision et abrutie par le vin rouge.
Au lieu de creuser le mal-être de ces trois personnages, et notamment de cette mère inexistante, de solidifier ces fondations qui manquent, dans l’écriture, cruellement de finesse et font souvent preuve d’une grande naïveté, Sarah Berthiaume a fait le choix d’un nouvel étage narratif, et non des moindres : celui de la radicalisation islamiste. Le mystérieux interlocuteur de Jade s’avère être un combattant syrien qui la persuade – on ne sait comment alors que ce fut là tout l’intérêt de l’histoire – de le rejoindre. La jeune québécoise débarque à Antioche où elle croise… sa mère, ou plutôt sa mère à l’âge de 16 ans qui avait fait le chemin dans le sens inverse pour fuir la Syrie et immigrée au Québec. Sur fond d’irruption maladroite des Dieux – n’est pas tragédien grec ou romain qui veut – le récit réaliste vire alors aux grandes leçons de vie, et à la confusion.
La mise en scène dynamique, quoi que sage, de Martin Faucher et le solide trio de comédiennes, formé par Sharon Ibgui, Sarah Laurendeau et Mounia Zahzam, malgré son énergie, n’y pourront rien : la pièce de Sarah Berthiaume est trop bancale pour convaincre. Sans hauteur de vue suffisante, sa recherche des sources de la radicalisation est lacunaire et la relier, comme elle le fait, à ce type de crise existentielle superficielle pour le moins réducteur. A force d’empiler les thèmes – la réactualisation du mythe d’Antigone, le fossé générationnel, le mal-être contemporain, la quête de sens adolescente, l’embrigadement islamiste – la dramaturge québécoise s’est perdue. Dans cette Antioche, co-existent sans doute plusieurs pièces en une. Plutôt que ce faible pot-pourri, on attendait de Sarah Berthiaume un choix clair, précis, et solide.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Antioche
Texte Sarah Berthiaume
Mise en scène Martin Faucher
Avec Sharon Ibgui, Sarah Laurendeau, Mounia Zahzam
Scénographie Max-Otto Fauteux
Éclairages Alexandre Pilon-Guay
Musique originale Michel F. Côté
Costumes Denis Lavoie
Maquillage et coiffure Angelo Barsetti
Vidéo Pierre Laniel
Assistance à la mise en scène Emanuelle Kirouac-SancheProduction Théâtre Bluff (Montréal), en partenariat avec Le Préau – Centre Dramatique Régional de Vire, et le Théâtre La Rubrique à Saguenay (Québec). L’autrice a bénéficié d’une résidence d’écriture au Théâtre La Rubrique à Saguenay. Le Théâtre Bluff a bénéficié d’une résidence au Théâtre Denise-Pelletier (Montréal) pour la création de ce spectacle.
Accueil avec le soutien de la Délégation générale du Québec à Paris
Durée : 1h15
Théâtre Paris-Villette
du 21 au 25 mai 2019Avignon Off 2019
11 Gilgamesh Belleville
du 5 au 26 juillet, à 16h10
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