Avec son spectacle solo Circus Remix, Maroussia Diaz Verbèke posait en 2017 les bases de sa compagnie Le Troisième Cirque. En signant avec Circus Remake une nouvelle version de ce manifeste qu’elle confie à deux jeunes interprètes, l’artiste poursuit brillamment sa quête d’une réconciliation du passé et du présent de sa discipline.
Si toute nouvelle création demande au spectateur qui en suit l’artiste de longue date un effort de mémoire, Circus Remake de Maroussia Diaz Verbèke pousse à ce travail rétrospectif avec une force particulière. Le seul titre de cette pièce nous ramène aux origines de la compagnie Le Troisième Cirque, fondée par l’artiste après la dissolution du collectif Ivan Mosjoukine, dont elle a fait partie avec l’unique, mais marquante création De nos jours [Notes on the Circus] (2012). Entre Circus Remake et sa première création personnelle Circus Remix (2017), qu’elle présente comme son manifeste, sept ans ont beau avoir passé, l’essentiel n’a pas changé. Le cirque tel que le voit et le pratique Maroussia Diaz Verbèke, comme un espace de quête du cirque lui-même, de ses spécificités, est toujours rétif à entrer dans les cadres de production et de diffusion qui n’ont pas été créés pour lui, mais pour d’autres arts. Loin de se limiter à la proximité des titres, la confusion que suscite l’artiste entre sa pièce d’hier – un hier pas si lointain, Circus Remix n’ayant cessé de tourner qu’en 2024 – et celle d’aujourd’hui dit bien la forme d’indiscipline que défend Le Troisième Cirque au sein du fonctionnement actuel du spectacle vivant. En plus de faire un pied de nez à une injonction à la nouveauté toujours vivace malgré un contexte général d’extrême fragilité du secteur, Circus Remake ouvre une voie des plus stimulantes pour un art toujours plus libre des multiples contraintes auxquelles se plie le plus souvent le cirque pour intégrer les institutions, surtout celles qui ne lui sont pas exclusivement réservées.
« Attention, attention, attention. 5,4,3,2,1. Good evening, buona sera, bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue dans CIRCUS REMAKE ». Dès ces premiers mots de la bande sonore du spectacle, le jeu des différences commence pour le spectateur ayant en mémoire Circus Remix. Si, dans ces mots diffusés en voix off et affichés sur des écrans façon surtitres, seul « remake » remplace « remix », d’autres changements s’imposent à l’initié au Troisième Cirque, sans exclure pour autant les novices. Celui qui n’a guère connu le dispositif circulaire conçu pour salle frontale de Circus Remix se sentira tout à fait bien accueilli dans celui de Circus Remake, dont la conception a bénéficié des années d’expérience de Maroussia Diaz Verbèke avec son solo. Avant le début du spectacle, cette dernière s’est d’ailleurs assuré que tous ses hôtes soient bien installés sur les gradins disposés en cercle sur le plateau du théâtre – en l’occurrence, pour nous, le Théâtre Silvia Monfort, où les souvenirs de Circus Remix affluent d’autant plus qu’il y a fait ses premières en 2017. Mais, autre écart de taille avec le spectacle-manifeste version une, l’artiste ne rejoint pas ici la piste, comme elle le faisait auparavant, pour tout y faire telle une femme-orchestre, depuis les numéros jusqu’à la régie technique. Tandis que Maroussia Diaz Verbèke s’assoit parmi le public, cahier et crayon en main, ce sont deux jeunes artistes de cirque qui se présentent à nous : Niń Khelifa, formée en France, puis à Montréal, et Theresa Kuhn, issue du Centre National des Arts du Cirque.
Circus Remake est donc un spectacle de transmission, et s’inscrit ainsi dans une tendance récente du cirque de création, qui arrive à un âge – la quarantaine – où l’on s’arrête un temps pour interroger ses racines afin de mieux aller de l’avant. Mais il est aussi pour Maroussia Diaz Verbèke l’occasion de poursuivre le mouvement qu’elle a initié auprès du Groupe Acrobatique de Tanger (FIQ !), puis d’artistes brésiliens (23 fragments de ces derniers jours) : mettre à l’épreuve de l’Autre sa manière d’écrire du cirque, pour laquelle elle a inventé un néologisme maintenant bien connu dans son microcosme, soit « circographie », qui vient pallier un manque de vocabulaire entravant la pensée, et donc le geste. En se plaçant à l’extérieur d’une partition qu’elle avait créée pour elle, la circographe affirme avec force l’autonomie de l’écriture d’un spectacle par rapport à sa réalisation concrète, au risque de transformer en profondeur l’objet d’origine. Avec ses deux interprètes plus jeunes qu’elle d’une génération environ, la fondatrice du Troisième Cirque réactive avec bonheur le joyeux trébuchement de son art fondé sur un mot dont elle dit volontiers qu’il n’existe pas bien qu’elle l’ait inventé. Pour Maroussia Diaz Verbèke, le paradoxe n’est guère un problème, c’est un terreau à cultiver. Toutes deux formidables, avec des personnalités aussi différentes entre elles que distinctes de celle de leur circographe, Niń Khelifa et Theresa Kuhn permettent de faire revivre en la modifiant de l’intérieur une structure très précise, composée d’éléments de natures diverses. En leur confiant son manifeste, Maroussia Diaz Verbèke se prémunit du culte ou de l’hégémonie de la circographe sur tous les autres acteurs d’une création. Elle prolonge aussi la tentative de réconciliation entre cirque du passé (ledit « traditionnel ») et du présent qui la guide depuis ses débuts.
Les deux interprètes de Circus Remake habitent sur cette délicate ligne de crête l’espace que leur offre Maroussia Diaz Verbèke entre tous les éléments de son spectacle, à commencer par la bande sonore citée plus tôt. Elle-même bricolée à partir d’un très grand nombre de sources – des archives radio d’époques et de natures multiples –, cette composition, éditée sous une forme proche du livret d’opéra et synthétisée sur un petit disque ludique distribué à l’entrée à chaque spectateur, mêle les mots du cirque à ceux du monde. Structurée selon différents thèmes – le départ, le corps, les mots, la question, la fin, le défi, le temps, le sexe, le rire… –, cette bande son qui fut le socle de Circus Remix est celui de Circus Remake. Comme la circographe de ces deux versions d’un même manifeste avant elles, Niń Khelifa et Theresa Kuhn calent muettement leurs numéros de corde-volante, d’acrobatie ou encore de clown au rythme de ces paroles dont le sens souvent échappe pour mieux se laisser parfois saisir. Les passages dédiés à l’histoire du cirque, qui doivent beaucoup à la chercheuse Caroline Hodak, aussi interviewée par Maroussia Diaz Verbèke dans une excellente émission de radio, Circoradio, etc, produite par France Culture, sont les plus longs et narratifs de tous. Ils nous rappellent notamment que le cirque a été interdit de parole en France par deux décrets du début du XIXème, qui sont, selon la directrice du Troisième Cirque, pour beaucoup dans la direction qu’ont pris les arts de la piste. En faisant don à d’autres de Circus Remix, la circographe prouve d’éclatante et subtile façon que Valéry qu’elle aime à citer – ainsi que bien d’autres – dans ses articles dit vrai lorsqu’il affirme : « Le nouveau ne doit pas être sollicité, car il se fait de soi-même au milieu d’antiquités ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Circus Remake
Circographie Maroussia Diaz Verbèke
Assistante à la circographie Élodie Royer
Artistes de cirque Niń Khelifa, Theresa Kuhn
Régie générale et sonore Thomas Roussel
Création lumière, conception technologique Bruno Trachsler
Recherche scénographie matali crasset
Technique costumes Emma Assaud
Graphisme Lisa Sturacci
Stagiaires design et graphisme MK- Enchoix Studio
Production Le Troisième Cirque
Coproduction Le Tandem Scène nationale Arras/Douai ; L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry – Pôle national cirque en Île-de-France ; L’Agora – Pôle national cirque Boulazac – Nouvelle Aquitaine ; Le Prato – Pôle national Cirque Lille ; Cirque Jules Verne – Pôle National Cirque et Arts de la Rue, Amiens ; Espace 1789, Saint-Ouen-sur-Seine ; La Ferme du Buisson / Scène nationale – Centre d’art – Cinéma, Noisiel ; Le Carré Magique – Pôle national cirque ; Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine ; Fonds Transfabrik – fonds franco-allemand pour le spectacle vivant
Accueil en résidence La Chaufferie, Saint Denis ; Théâtre Silvia Monfort, Paris
Soutiens Ministère de la Culture ; Aide nationale à la création DGCA ; Région Île-de-FranceDurée : 1h40
Théâtre Silvia Monfort, Paris
du 5 au 15 février 2025Espace 1789, Saint-Ouen
vendredi 7 mars à 20h et samedi 8 mars à 17hThéâtre de Gascogne, Scène conventionnée d’intérêt national, Mont-de-Marsan
les 15 et 16 marsLe Sirque, Pôle National Cirque de Nexon
le 21 marsLa Mégisserie, Saint-Junien
le 24 marsL’Agora, Pôle National Cirque de Boulazac
les 27 et 28 mars
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