Le Festival lyrique d’Aix-en-Provence présente L’Ange de feu, un opéra méconnu de Sergueï Prokofiev, une œuvre noire et incendiaire dont l’héroïne délirante et sulfureuse est passionnément incarnée par Aušrinė Stundytė.
Elle surgit d’une cabine de douche, rampe, se tapit, sauvagement, contre le sol et les murs en carrelage noir de la pièce exiguë, une lame de couteau à la main, le corps pale et frêle, mutilé semble-t-il, dans une nuisette noire ; agitée, effrayée, c’est Renata, la protagoniste hallucinante et hallucinée de L’Ange de feu formidablement incarnée par Aušrinė Stundytė dans le spectacle proposé par Mariusz Treliński au Grand Théâtre de Provence à Aix. Elle commence le récit d’une mystérieuse visite reçue dans sa petite enfance par un ange nommé Madiel, elle narre son irrépressible et impossible envie de s’unir à lui, et voici l’élément déclencheur de l’intrigue complexe de l’opéra inspiré de Valéri Brioussov et composé au début des années 1920, après la création de L’Amour des trois oranges.
Autour d’elle, les présences scéniques sont fortes et convaincantes même si les voix ne sont pas toujours suffisamment audibles. Mais la magnétique soprano lituanienne domine largement le plateau. Muse de Calixto Bieito, elle est la captivante interprète des héroïnes lyriques les plus subversives telles que Salomé, Elektra, la Vénus de Tannhaüser, la Lady Macbeth de Mzensk… Foudroyante d’engagement scénique et vocal, elle est, dans le rôle fort redoutable de Renata, l’incarnation même de la pulsion et de l’obsession, pleine d’un désir ardent et destructeur. Puissamment habitée, entre pureté innocente et délire névrotique, elle est sidérante de vérité trouble.
L’oeuvre est plutôt traitée sur un mode décadent par le metteur en scène qui transpose son intrigue pleinement romantique et symboliste dans un motel peuplé de silhouettes borgnes (prostituée, travesti, junkie…) puis dans un pensionnat pour jeunes filles s’exerçant à la gymnastique et subissant l’oppression d’un professeur autoritaire. La production prend la liberté de faire mourir la protagoniste avant la scène finale d’exorcisme et présente l’ange complètement fantasmé comme le souvenir terrifié de cette figure tutélaire diabolique. L’usage de couleurs pop psychédéliques rappellant l’univers de Warlikowski ne dissimule pas l’atmosphère lugubre du lieu qui transpire le danger, la frustration et la perdition. La chair y est triste mais éloquente. Pour permettre d’accéder à l’entière violence et au souffre incandescent de l’œuvre, la mise en scène privilégie une représentation très concrète voire appuyée des choses malgré certaines pointes de mise à distance ironique. Elle ménage de beaux et spectaculaires effets visuels mais finalement l’ensemble est assez démonstratif, non exempt de facilités.
Une forte expressivité dramatique vient de la fosse où explose l’exaltant Orchestre de Paris tout en galbe et en tension dans l’écriture musicale titanesque et tumultueuse de Prokofiev. Il déploie sous la direction de Kazushi Ono les couleurs et les accents insidieux, voluptueux, fiévreux, d’une partition tranchante et abrasive aussi bien extatique que maléfique.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
L’Ange de feu
Opéra en cinq actes et sept tableaux de Sergueï Prokofiev
Livret du compositeur d’après un roman
de Valéri Brioussov
Créé le 25 novembre 1954 au Théâtre des Champs-Élysées de Paris (en français)
Direction musicale
Kazushi Ono
Mise en scène
Mariusz Treliński
Décors
Boris Kudlička
Costumes
Kaspar Glarner
Lumière
Felice Ross
Vidéo
Bartek Macias
Chorégraphe
Tomasz Wygoda
Renata
Aušrinė Stundytė
Ruprecht
Scott Hendricks
La Voyante / La Mère supérieure
Agnieszka Rehlis
Méphistophélès / Agrippa von Nettesheim
Andreï Popov
Faust / L’Inquisiteur
Krzysztof Bączyk*
Jakob Glock / Un médecin
Pavel Tolstoy
Matthieu Wissmann / L’Aubergiste / Un serviteur
Łukasz Goliński
La Patronne de l’auberge
Bernadetta Grabias
Première religieuse
Bożena Bujnicka*
Seconde religieuse
Maria Stasiak
Orchestre
Orchestre de Paris
Chœur
Chœur de l’Opéra de VarsovieDurée : 2h30
Festival d’Aix 2018
Théâtre de l’Archevêché
Les 5, 7, 13 et 15 juillet à 19h30
Retransmission sur Culturebox le 15 juillet
sur France Musique le 13 juillet
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