Marcel Bozonnet, assisté à la mise en scène par Pauline Devinat, entre pour la première fois en territoire médiéval avec Le Laboureur de Bohème de Johannes von Tepl. Une disputatio dont il peine à faire parvenir jusqu’à nous la part d’éternité.
En août 1400, lorsque meurt en couches la femme de Johannes von Tepl, aussi connu sous le nom de von Saaz ou de Sitbor, la peste bubonique est encore dans les esprits. Elle a sévi dès 1380 dans toute l’Europe. Notamment en Allemagne où vit le poète qui, refusant la disparition de son aimée, écrit – en un seul jour, dit-on – Le Laboureur de Bohème. Considéré comme un texte majeur de la littérature allemande, ce cri de douleur a de quoi résonner fortement avec notre époque. Car même s’il n’évoque pas directement l’épidémie récente, il en est tout imprégné : disputatio – type de dialogue courant dans la littérature du XIVème siècle – entre un Laboureur et la Mort, il témoigne d’un rapport particulier à la vie et à son achèvement. Il dit non seulement le découragement des hommes, leur sentiment de fin du monde, mais aussi leur désir d’y échapper à tout prix. En ouvrant sa saison avec ce texte, le Théâtre de Poche Montparnasse espérait sans doute en voir la force réactivée. Disons-le d’emblée : le miracle n’a pas lieu.
Face à l’importante distance temporelle, et donc linguistique – la traduction de Florence Bayard donne bien à sentir le Moyen-Âge finissant où a vu le jour l’œuvre de Johannes von Tepl –, qui nous sépare du Laboureur de Bohème, le metteur en scène ne prend pas un parti très tranché. S’il n’ancre pas sa pièce dans l’époque lointaine de Johannes von Tepl. Il ne fait pas non plus abstraction de ce contexte. Incarné par Logann Antuofermo, que l’on a pu voir à l’affiche du dernier film de Philippe Garrel, Le Sel des larmes (2020), le Laboureur nous accueille dans une combinaison peu saillante qui illustre assez bien l’ensemble de la proposition. Hésitant entre la tenue paysanne et le jogging, cet accoutrement conçu par le costumier et décorateur Renato Bianchi, longtemps directeur des costumes et de l’habillement de la Comédie-Française, frise le ridicule de trop près pour suggérer l’idée d’éternité. Et le jeu est trop linéaire pour permettre à la pièce de surmonter ce handicap vestimentaire et l’absence de choix marqué qu’il révèle.
Le Laboureur, qui exprime avec passion et force répétition sa flamme pour sa défunte, commence par accuser violemment d’injustice la Grande Faucheuse avant de se prêter au jeu philosophique que lui propose sa macabre interlocutrice. Ce cheminement, avec ses allers-retours, ses impasses et ses accélérations inattendues, apparaît à peine dans ce Laboureur de Bohème. Si Marcel Bozonnet est une Mort changeante, tantôt masquée tantôt à visage découvert, parfois dansante et parfois rigide comme une stèle, Logann Antuofermo s’aventure peu hors de son registre de départ. Même lorsque son personnage tente d’aller sur le terrain intellectuel de la Mort, il a tendance à le faire sur le mode de la plainte amoureuse. La dimension ludique du dialogue entre les deux personnages est peu perceptible. Elle aurait pourtant été une belle passerelle vers notre époque, vers nos manières de négocier avec l’issue fatale.
À mi-chemin entre hier et aujourd’hui, ce Laboureur de Bohème vaut surtout pour le regard qu’il offre sur une époque de transition. « N’oublions pas que Johannes von Tepl est contemporain du Grand Schisme d’Occident qui annonce la réforme protestante », explique Marcel Bozonnet. En plus d’une leçon de Mort, ce dernier signe ainsi une leçon d’Histoire qui est loin d’être inintéressante, mais qui échoue à être vivante.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Le Laboureur de Bohême
De Johannes von Tepl
Traduction : Florence Bayard
Mise en scène : Marcel Bozonnet et Pauline Devinat
Avec : Marcel Bozonnet, Logann Antuofermo
Avec la voix d’Anne Alvaro
Décors et costumes : Renato Bianchi
Lumières : François Loiseau
Production : Théâtre de Poche-Montparnasse et Les Comédiens voyageurs
Avec la participation artistique du Jeune théâtre nationalThéâtre de Poche
À partir du 1er septembre 2020
Du mardi au samedi 21h, dimanche 17h
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !