Le metteur en scène Hugo Mallon se penche sur la plus connue des héroïnes flaubertiennes dans un « roman-performance » qui n’est pas au rendez-vous de toutes ses ambitions.
Le plateau est nu, seule une table demeure sur laquelle une veilleuse est allumée, permettant aux comédiens de déchiffrer le texte sous leurs yeux. Ainsi, les premières lignes de Madame Bovary résonnent. Fin connaisseur de l’œuvre de Gustave Flaubert, Hugo Mallon s’entoure de sa compagnie L’éventuel hérisson bleu et s’empare du plus connu des romans de l’auteur, après avoir adapté L’Éducation sentimentale en 2018. « Mis en performance », préfère-t-il dire. Car, plus qu’une adaptation, le metteur en scène revendique le terme de « roman-performance », c’est-à-dire le fait de ne pas se contenter de représenter les intrigues, mais de faire éprouver « ce que peut nous faire un roman quand on le lit ». Un programme alléchant, surtout quand il s’attèle à une œuvre qui, derrière ses airs scolaires, s’avère des plus difficiles à saisir. Cette saison, Madame Bovary intrigue, comme en témoignent les tentatives de Carme Portaceli en mai dernier et, plus récemment, de Christophe Honoré.
Quel plaisir, ici, de retrouver Emma Bovary dans le texte. Car ce sera la langue de Flaubert, quasiment inchangée, qui résonnera du début à la fin. Si des personnages secondaires sont élagués, des intrigues annexes supprimées, la trame narrative, elle, est respectée de la première page à la dernière. Tantôt à la table de lecture, tantôt interprété directement par les personnages, tantôt pris en charge par l’intermédiaire d’un narrateur, ou même vidéoprojeté, le texte est là, il fait socle. Et il faut le saluer, car s’emparer à bras-le-corps de la langue de Flaubert – descriptions interminables de bourgs normands comprises – relève bien du défi. La vie d’Emma se déroule donc fidèlement sous nos yeux : de son mariage avec Charles Bovary à ses idéaux de vie aventureuse, en passant par son déménagement à Yonville, ses lectures et, bien entendu, ses passions entretenues avec le romantique Léon Dupuis, puis avec le libertin Rodolphe Boulanger qui la mèneront bientôt à la ruine, ce qui la poussera à s’empoisonner à l’arsenic.
On voit bien ici les volontés de la compagnie L’éventuel hérisson bleu d’insuffler un « rapport épique au plateau » et de « confronter le théâtre dans sa forme ». En revenant régulièrement au texte, tout d’abord. Les comédiens abandonnent périodiquement leurs personnages pour redevenir de simples lecteurs. En ayant recours aux scènes filmées en direct, ensuite. Le premier tiers de la pièce nous est retransmis sur un écran géant, tandis qu’une caméra filme l’action dans un décor de cinéma caché à notre vue par un rideau tiré. Enfin, en explosant un à un chacun de ces cadres préalablement définis. La première scène, qui est interprétée sans caméra, est celle du bal donné par le marquis d’Andervilliers, où Madame Bovary goûte à la luxure pour la première fois. Au fur et à mesure de l’émancipation d’Emma – ou de sa décadence, c’est selon –, les plans filmés se feront de plus en plus audacieux, le décor se dévoilera peu à peu à nous, avant d’être méticuleusement détruit, dans un crépuscule où la mort de l’héroïne semble rejoindre celle du théâtre. Plein de bonnes idées sont invoquées, comme celle du métathéâtre lorsque Emma et Charles en sortie à Rouen pour assister à la représentation de Lucia di Lammermoor à l’opéra sortent en coulisses, toujours suivis par une caméra, et s’installent dans les gradins. Le public assiste donc au côté d’Emma à la représentation de l’opéra-comique dans lequel Lucia sombre peu à peu dans la folie, comme un miroir du destin de la jeune épouse.
Malheureusement, le rendu global peine à être à la hauteur des ambitions annoncées et l’utilisation de la caméra en direct y est pour beaucoup. La grande précision technique qu’elle impose ainsi que les chorégraphies millimétrées qu’elle demande sont trop peu souvent au rendez-vous. Caméra à l’épaule, jeux de fumées et de lumière, insert d’images captées au smartphone en selfie, travelling arrière, les procédés se succèdent sans se répondre et sans créer d’unité propre, dans un kaléidoscope brouillon. Surtout, la proposition semble chercher le ton juste à adopter, hésitant entre le grotesque – perruques de nylon et lunettes de soleil à strass –, les codes de la dark romance collégienne – Rodolphe en influenceur snob et Léon en bad boy mystérieux – ou le lyrisme romantique – l’agonie d’Emma en mystique tragédienne). Chacune de ces tonalités est effleurée, aucune n’est véritablement embrassée. Et le tout tombe à plat par manque de précision, mais surtout par manque de vision franche. En rassemblant tous les éléments pour faire de ce « roman-performance » un théâtre-monde, la compagnie aurait pu signer une grande lecture de Madame Bovary. Qui restera finalement encore une fois bien insaisissable.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Madame Bovary (roman-performance)
d’après Madame Bovary de Gustave Flaubert
Conception, mise en scène et adaptation Hugo Mallon
Avec Barbara Atlan, Léo Kauffmann, Aude Mondoloni, Simon Terrenoire, Antoine Thiollier
Scénographie Marine Brosse
Création lumières Ludovic Heime
Création vidéo et cadre Elodie Ferré
Création musicale et interprétation live Léo Kauffmann
Sonorisation Jules Fernagut
Régie et création vidéo Camille GateauProduction L’éventuel hérisson bleu
Coproduction Le Phénix scène nationale Valenciennes, Maison de la Culture d’Amiens scène nationale, Théâtre du Beauvaisis scène nationale, Malakoff scène nationale – Théâtre 71. Résidences La Commune – CDN Aubervilliers, Le Vivat scène conventionnée Armentières, Théâtre du Chevalet scène conventionnée Noyon, Théâtre Tout Thérain Canny sur Thérain, le Phénix scène nationale Valenciennes.
Avec le soutien du Ministère de la Culture – DRAC Hauts-de-France, de la Région Hauts-de- France, du Département de l’Oise, de l’Adami, de la SpedidamDurée : 3h40 (entracte compris)
Le Phénix, Scène nationale de Valenciennes
du 7 au 15 octobre 2025
Maison de la Culture d’Amiens, Scène nationale
du 13 au 16 janvier 2026
Malakoff, Scène nationale
du 11 au 13 févrierThéâtre du Beauvaisis, Beauvais, Scène nationale
les 8 et 9 avril 2026
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