Comment concilier théâtre et discours militant ? Avec MAD ! Je te promets la forêt rebelle, Joséphine Serre fait monter une ZAD sur scène via un texte qui tourne trop à la démonstration. A l’heure des nécessaires combats écologiques, le théâtre n’y trouve pas sa voie/voix.
On a pour les questions écologiques un intérêt tout particulier. Disons même que l’on doute sérieusement que le système actuel ne nous conduise pas droit dans le mur. L’envie de découvrir la représentation d’une ZAD au théâtre a donc tout naturellement guidé nos pas vers M.AD ! Je te promets la forêt rebelle écrit et mis en scène par Joséphine Serre. L’artiste avait déjà traité la question de l’impact du numérique sur l’effacement de nos mémoires dans Data Mossoul découvert il y a 5 ans à la Colline. La voici relancée dans un sujet d’une actualité brûlante, sans mauvais jeu de mots, et tout aussi politique.
L’histoire de MAD ! est (relativement) simple. Une jeune femme apprend la mort de son frère zadiste lors d’une opération policière. Elle travaille dans la géo ingénierie, comme lui l’avait un temps étudiée. Il a depuis bifurqué, – déserté comme on dit chez les ingénieurs – s’est dirigé vers la botanique. En fait, il a toujours été le vilain petit canard de la famille, tandis qu’elle a régulièrement suivi une voie plus rectiligne et conventionnelle. Elle lui en veut. Il est mort quand elle arrive sur place mais son séjour dans la ZAD, entrelacement de scènes réalistes et oniriques va lui permettre de se réconcilier avec son frère, et avec le vivant.
L’action manque ainsi de ressort, de tension dramatique. La réconciliation, dont on sent bien qu’elle finira par advenir, n’est pas un enjeu suffisant. Mais peu importe. L’essentiel pourrait se situer ailleurs. Le séjour de la jeune femme se transforme en sorte d’initiation à l’univers écolo zadiste pour les nuls – pour la jeune femme et avec elle le spectateur. S’y déploient discours sur le vivant, sur la maltraitance occidentale et capitalo-extractiviste ou encore la nécessité d’un changement de regard sur ce qu’on appelle la Nature, dont nous avons cru nous extraire, ainsi que des échappées croisant Baptiste Morizot et mythologies de la forêt et de ses habitants. Aussi convaincu soit-on, l’excès de didactique empêche l’incarnation et chaque situation, en manque de dynamique, tourne trop à la démonstration.
La mise en scène avait pourtant des atouts. L’immense plateau du Théâtre de la Tempête est recouvert d’une terre brune. En fond de scène, des projections vidéo font vivre et bruisser cette forêt qui se rebelle. Sur le côté, Frédéric Minière ponctue chaque étape du décompte des chapitres de l’action d’un son puissant et accompagne toute l’action en direct de ses musiques et atmosphères. On a plus de doutes sur une mise en jeu qui privilégie le frontal, l’adresse public et le chœur, redoublant ainsi dans une sorte de profération la démonstrativité d’un texte bavard.
Ce qu’on entend malgré tout, c’est bien l’urgence et la radicalité qui réaffirment ici leur nécessité. Comme si tout un système de représentation du monde aujourd’hui cantonné à la marge – les rêveurs, les anars, les black blocs et autres écoterroristes – était enfin écouté et pris au sérieux. Comme si ce discours alternatif n’était pas une utopie pour amishs mais bien la conversion à opérer de nos modes de pensée et de vie. A trop laisser parler la colère, cependant, et la volonté de convaincre, M.A.D ! ne s’adresse pas au sensible, laisse de côté les prérequis pour qu’une fiction fonctionne – des situations, des personnages auxquels s’identifier, des surprises – et maintient le spectateur extérieur à un combat qui pourtant le touche de près.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
MAD ! je te promets la forêt-rebelle
de Joséphine Serre
avec Joris Avodo, Xavier Czapla, Camille Durand-Tovar, Arnault Lecarpentier, Zacharie Lorent, Joséphine Serre et le musicien Frédéric Minière
assistanat à la mise en scène, dramaturgie Frédéric Cherbœuf
son Frédéric Minière
lumières Pauline Guyonnet
vidéo Véronique Caye
scénographie, costumes Caroline Oriot
régie générale Ludovic Heime
administration, production Alain Rauline, Héloïse Jouary
diffusion Bureau Rustine – Jean Luc Weinich
presse ZEF – Isabelle Muraour
production Compagnie L’Instant Propice en coproduction avec Un Festival à Villereal
avec le soutien de La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle Villeneuve-lez-Avignon, de la Maison Jean Vilar, Anis Gras, Château Rouge – scène conventionnée – Annemasse en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête. La compagnie L’Instant Propice est conventionnée par la DRAC Ile-de-France.
L’ensemble de l’œuvre dramatique de Joséphine Serre est publié aux éditions Théâtrales.Durée 2h30
Théâtre de la Tempête
du 6 au 23 juin 2024Un Festival à Villareal
du 7 au 9 juilletAnis Gras à Arcueil
du 6 au 8 novembre
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