Artiste aussi généreux que sincère, drôle qu’émouvant, Lou Trotignon offre un seul en scène incisif relatant son cheminement vers la non-binarité.
Dans la dernière scène de son spectacle, quittant l’humour percutant ayant dominé la majorité de la représentation, Lou Trotignon évoque brièvement sa peur. Peur du contexte et de la transphobie ambiante – avant d’affirmer qu’en dépit de cette crainte (ô combien fondée), plus jamais il ne vivrait caché. En quelques fragments de seconde, le comédien trans lâche le second degré pour laisser son inquiétude s’exprimer sans fard et au grand jour. Cette séquence, portée avec autant de sincérité que le reste du spectacle, touche avec une force particulière le public. Elle prend encore une autre dimension lorsque l’on sait que l’artiste a, la semaine dernière, annulé des dates de tournée – les 12 et 13 mars à Dijon et Besançon. Comme il l’a écrit – notamment sur son compte Instagram –, il n’a « jamais vécu autant de transphobie que depuis les décisions de Meta d’autoriser de dire que ‘la transidentité est une maladie mentale’ et l’élection de Trump ». Et, comme il le rappelle, il sait bien qu’il fait partie de celles et ceux qui ont la chance de pouvoir se mettre en arrêt, se reposer ; et qui ont également la possibilité de dénoncer les discriminations subies, ainsi que les effets désastreux sur la santé des personnes trans des agressions transphobes (même minimes) vécues au quotidien.
C’est peu de dire que, dans le contexte de transphobie actuel – pour ne citer que cette oppression ayant actuellement le vent en poupe –, Mérou est un spectacle de stand-up important. En tant que s’il s’inscrit à la lettre dans les codes du genre, Lou Trotignon offre ce que l’universitaire Bérénice Hamidi qualifie (au sujet du stand-up) de « tribune politique en mode mineur ». En passant par l’intime, le récit déplié se donne comme le droit, essentiel, à être soi-même. Cette revendication, le jeune homme la porte avec beaucoup d’humour et d’attention à l’autre, à travers un propos fonctionnant comme un puzzle queer – dans le fond, comme dans la forme – aux pièces éparses. Après la diffusion d’une musique punchy et de fumigènes sur une scène baignée de lumières rose et bleu, Lou Trotignon, vêtu d’un pantalon aux motifs damiers – avec une tasse au diapason – et d’une veste rose nacrée, fait son entrée. Comme dans tout bon stand-up, le comédien débute par des échanges au plus près des spectateur·rices, sur la sociologie du public comme sur le lieu – le, un brin suranné, Théâtre Saint-Georges. Cette entrée en matière, tout en signalant la capacité de punchlines et le sens de l’humour affûté de l’artiste – évoquant, à titre d’exemple, « une relation à sens unique, une relation hétérosexuelle au final » –, installe une complicité avec les présent·es.
Le public, conquis avant même que le spectacle ne débute, va adhérer encore plus avant au fil de la représentation. Aussi drôle que taquin, sagace que sensible, Lou Trotignon, en adresse directe permanente aux spectateur·rices, passe d’un sujet à l’autre : son expérience en tant que strip-teaseuse, la décision de sa transition, les codes de la communauté queer, la transphobie ordinaire, un lapsus de sa mère, le BDSM, les oppressions sexistes systémiques. Entre anecdotes un brin triviales et confidences plus intimes, et jusqu’à l’évocation du mérou – hermaphrodite protogyne, soit un poisson naissant femelle et pouvant devenir mâle –, se dessine ce que le comédien non-binaire a traversé, ce qu’il a éprouvé, ce qu’il a enduré, et cela enfant comme adulte. Tout en tenant la forme de la conversation propre au stand-up, et en mettant en garde contre l’essentialisation, Lou Trotignon partage par l’évocation de son expérience personnelle des questions avec toustes. Comment s’assumer, qui que l’on soit – une question accrue au vu de l’actualité sinistre ? Outre le plaisir communicatif – qui était, le soir du 17 mars, encore amplifié par la présence de traductrices LSF peinant parfois à contenir leurs rires – de voir épinglé avec mordant l’hétéropatriarcat et pointé la transphobie, Mérou est aussi largement empreint d’une attention à l’autre. Et voir renversé, avec intelligence et piquant, les réflexes encore majoritaires dans le monde de l’humour – réflexes consistant à rire des minorités plutôt qu’avec –, sincèrement, ça libère.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Mérou
de et avec Lou Trotignon
Mise en scène Amiel Maucade, en collaboration artistique avec Sandra CalderanProduction Quartier Libre ; Fourchette Suisse Productions
Durée : 1h15
Théâtre Saint-Georges, Paris
du 27 janvier au 28 avril
les lundis, à 20hComédie d’Aix, Aix-en-Provence
le 24 avrilThéâtre Le Colbert, Toulon
le 26 avrilLa Comédie des Suds, Cabriès
le 21 maiLille Grand Palais
le 24 maiCentre Culturel d’Auderghem (Belgique)
le 30 maiComédie de Metz
le 4 juinRepublic Corner, Poitiers
le 24 septembreBistrot de la Scène, Dijon
le 14 octobreSalle Pierre Lamy, Annecy
le 5 décembreLa Nouvelle Seine, Paris
le 7 décembreCité des Congrès, Nantes
le 9 janvier 2026Bourse du Travail, Lyon
le 6 mai
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