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Lotte de Beer : un regard ludique et critique à l’opéra

Actu, Carnets de création, Opéra, Paris

Lotte de Beer en répétition à l’Opéra national de Paris photo E Bauer

Carnets de création (21/28). Installée depuis une dizaine d’années dans le milieu très fermé et trop peu féminin de la mise en scène lyrique, Lotte de Beer signe sa première production en France avec Aïda donnée lors d’une représentation unique sous couvre-feu à l’Opéra Bastille puis diffusée sur Arte. L’artiste néerlandaise confronte l’œuvre de Verdi aux sujets sensibles de l’histoire coloniale et de l’appropriation culturelle pour questionner notre conscience et notre regard sur l’Autre et l’ailleurs.

Monter Aïda pour Lotte de Beer, c’est davantage s’intéresser à l’histoire de l’ouvrage, commandé à Verdi par le khédive d’Égypte et aux enjeux politiques de sa création à l’Opéra du Caire, plutôt qu’à celle qu’il raconte. C’est pourquoi elle installe l’intrigue dans une salle de musée ethnologique visitée par une société aristocratique blanche en redingote et longues robes à froufrou. Au cœur de sa collection d’art primitif, la statue d’une femme noire fait office de pièce-maîtresse. L’héroïne Éthiopienne, placée au centre, sous vitrine, fait écho au pillage coutumier des biens culturels par l’Occident au XIXe siècle et entre en résonance immédiate avec l’héritage colonialiste et la mémoire de l’esclavagisme. Car, pour Lotte de Beer, Aïda est « une histoire sur le nationalisme et la guerre, sur l’individu et la société, sur deux cultures qui s’affrontent, sur une société dominante et une autre, marginalisée ».

Alors que nombre de mises en scène traditionnelles ont recours au blackface, une pratique désormais condamnée, le corps noir et l’africanité du personnage ne touchent la cantatrice Sondra Radvanovsky qui l’interprète divinement tandis que le personnage est incarné par une marionnette à taille humaine imaginée par la plasticienne zimbabwéenne Virginia Chihota. Amoureusement convoité par Radamès devenu militaire gradé en pleine campagne napoléonienne – très en forme, Jonas Kaufmann prête superbe solidité et immense suavité au personnage – le mannequin s’anime et occupe le premier plan scénique.

En faisant fi d’un orientalisme de convention et en renonçant à la pompe grandiose qui colle à l’œuvre, Lotte de Beer rejette plus largement une forme opératique traditionnellement décorative et monumentaliste. Celle qui a eu pour mentor Peter Konwitschny, grand adepte de l’esthétique brechtienne, promeut un fonctionnalisme qui, selon elle, permet à la fois d’assouplir et revitaliser l’opéra en conservant son attractivité mais en le sortant de sa torpeur illustrative, et qui prétend répondre de manière pragmatique aux crises économiques et sanitaires que connaît le monde moderne.

Galvanisée par l’international Opera Awards reçu en 2015 à Londres, la future directrice du Volksoper de Vienne promet une rupture radicale. Lotte de Beer a d’abord commencé sa carrière aux Pays-Bas puis sur la scène allemande où elle monte Manon, Rusalka, Carmen, Lulu, Didone, Alcina… autant de titres qui affichent une prédilection pour les héroïnes féminines dont elle célèbre sans équivoque l’inadaptation au monde bourgeois et la combativité subversive. Embarquée au festival de musique pop-rock de Lowlands sa Traviata addicte à la fête et à la vie nocturne rencontre un nouveau public plus jeune et déluré. Particulièrement éloquente, sa Rusalka résolument féministe et influencée par la lecture de L’Interprétation des rêves de Sigmund Freud est à la fois sensible, organique et psychanalytique. Sur un plateau s’apparentant à un espace de dissection, la sirène de Dvorak a troqué sa queue de poisson pour le corset, objet symbolique d’oppression à laquelle est soumise la jeune fille pétrie de désir et violemment réduite à la folie et à l’aliénation par une société patriarcale revendiquée.

Celle qui présentera cet été Les Noces de Figaro de Mozart au Festival d’Aix-en-Provence a déjà entrepris Le Barbier de Séville de Rossini à Amsterdam, spectacle pour lequel elle place évidemment Rosine au cœur du propos. Sans renoncer aux comiques de situation et à l’allégresse de l’œuvre, elle fait honneur à l’esprit révolutionnaire de Beaumarchais en accentuant sa critique de l’ancien régime et des privilèges de la noblesse. Édifiant, le final est emporté par une Liberté guidant le peuple personnifiée et sa cohorte turbulente de misérables.

Ce tableau de Delacroix figure justement parmi les reconstitutions picturales réalisées pendant la fameuse Marche impériale d’Aïda où s’exalte sans complexe un esprit polémique de conquête exacerbé, un sentiment de puissance et de domination cristallisant les aspirations impérialistes de l’Occident sur l’Afrique. Déjà très discutée, cette mise en scène contient les qualités et les défauts de beaucoup de spectacles « à thèse ». Elle développe un discours intellectuel pertinent car engagé et actuel mais sa réalisation scénique paraît moins électrisante que son propos. Ce sont aux chanteurs, placés sous la baguette pleine d’allant mais toujours raffinée de Michele Mariotti, que revient d’assurer la dimension passionnelle de l’œuvre. La distribution offre une sublime musicalité doublée d’une riche émotivité.

Il n’empêche que Lotte de Beer promet un regard neuf et contemporain sur l’opéra qui doit interroger le monde et concerner son public. En témoigne un Hansel et Gretel transplanté dans un bidonville ou un Don Carlos projeté dans un espace-temps science-fictionnel apocalyptique prédominé par le radicalisme religieux et la terreur au pouvoir. Consciente d’un malaise civilisationnel et des mutations nécessaires de la société, Lotte de Beer cherche à transmettre authentiquement une réalité qui bouscule.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

AIDA
Opéra en quatre actes (1871)

D’après Auguste Mariette

Musique :
Giuseppe Verdi

Livret :
Antonio Ghislanzoni

Direction musicale :
Michele Mariotti

Mise en scène :
Lotte de Beer

Décors :
Christof Hetzer

Vidéo :
Christof Hetzer

Artiste visuelle :
Virginia Chihota

Costumes :
Jorine van Beek

Lumières :
Alex Brok

Dramaturgie :
Peter te Nuyl

Conception et direction des marionnettes :
Mervyn Millar

Chef des Chœurs :
José Luis Basso

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Retransmission sur Arte le 21 février 2021 à 14h05 puis sur arte.tv jusqu’au 20 août 2021. Diffusion sur France Musique le samedi 27 février 2021 à 20h. Dans les cinémas ultérieurement.

21 février 2021/par Christophe Candoni
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