En 2009, Lotfi Achour créait à Hammamet Hobb Story – Sex in the(Arab) City, un spectacle qui parle ouvertement de la sexualité dans le monde arabe. Ce spectacle a été présenté sous le régime de Ben Ali. Lotfi Achour fait parti des artistes qui ont résisté à la censure pendant des années, comme Fadel Jaïbi et Jalila Baccar. Aujourd’hui le printemps arabe est fragile. Déjà cet été à Avignon, Fadel Jaïbi laissait entendre que les libertés individuelles pouvaient être menacées par les islamistes. Un an après la chute de Ben Ali, Lotfi Achour est de retour à Paris pour la réouverture du Tarmac dans ces nouveaux locaux de l’Avenue Gambetta. L’occasion pour le Tarmac de présenter tout un programme autour du printemps arabe.
Lotfi Achour revient sur cette année qui a changé le monde arabe et sur les peurs que nourrissent les artistes vis-à-vis du pouvoir islamiste en place.
Est-ce que le spectacle a évolué entre la création en 2009 à Tunis et 2012 ?
Oui il a un peu évolué. A la création la version était totalement en Arabe, puis on l’a joué en deux langues au Tarmac en 2010. Et aujourd’hui avec ce qui s’est passé en 2011 dans le monde arabe la lecture du spectacle a changé. Avec l’élan que nous avons connu au printemps et avec les contrecoups actuels on peut lire le spectacle différemment. Cela fait plus d’un an que le spectacle n’a pas été joué en Tunisie. C’est paradoxal parce que du temps de Ben Ali on le jouait. On n’a pas pu le rejouer car deux acteurs se sont retirés du spectacle. La vraie raison c’est la peur.
En 2009 lorsque vous avez créé Hobb Story, vous étiez loin de vous imaginer les changement dans la société tunisienne ?
On ne l’imaginait pas du tout. Mais ce spectacle préfigurait déjà quelque chose. On s’est donné cette liberté sous Ben Ali de faire ce spectacle dans un pays arabe. Le public s’est reconnu. Le spectacle parlait de son besoin de liberté. Le spectacle parle de sexualité avec un fond religieux important, mais il parle surtout de la liberté personnelle, du besoin de sortir du cadre. Et le moyen le plus propice c’est la sexualité.
Le spectacle mêle à la fois le jeu des acteurs et des musiciens sur scène, mais aussi des témoignages vidéo enregistrés…
Lorsque j’avais parlé de mon projet autour de moi, personne ne croyait possible que l’on puisse faire parler des gens en Tunisie ou en France sur ce sujet. Cela a été assez magique. C’est banal dans un pays européen, on voit cela à longueur de temps à la télévision, mais on ne mesure pas à quel point chez nous cela n’a jamais été fait. Même s’il n’y a pas de révélation extraordinaire, on ressent tous le désir, l’envie de liberté de la même façon, mais faire cela en Tunisie a été un acte très courageux pour les gens qui ont témoigné parfois à visage découvert. D’ailleurs certains ont eu à faire face à des réactions d’insultes violentes.
Finalement dans cette société tunisienne en 2009 il y avait un vent de liberté
C’était tout le paradoxe de ce régime dictatorial. Bourguiba avait travaillé à ce que les gens gagnent un peu de liberté. Par la suite Ben Ali a tout étouffé y compris la culture, mais la seule chose permise c’était une sorte de liberté dans les mœurs. Les personnes se réfugiaient dans le sexe.
Est-ce que les libertés individuelles sont remises en cause aujourd’hui ?
Je suis pessimiste et lucide. Oui elles sont remises en cause. Elles ne sont pas encore remises en cause par la législation, mais cela peut arriver. La stratégie est plus pernicieuse. Les islamistes en Tunisie essayent de s’emparer de la société. Ils ont été élus, c’est la force majoritaire. Ce sont les rois du double discours. Pour l’instant ils essayent de maintenir quelque chose de propre au sommet de l’Etat. Leur chef spirituel dit oui pour la polygamie, la charia…comme cela il contente sa base radicale et djihadiste. Et puis il y a toujours un démenti de la part des ministres assurant que les acquis seront respectés. Mais je pense que les libertés sont remises en cause. Beaucoup d’artistes ont peur. Il y a une police des mœurs. Ils essayent d’intimider. Ils savent que le terrain de l’art est leur bête noire comme pour Ben Ali. On n’est pas si nombreux que cela, mais le cinéma ou le théâtre sont populaires et peuvent être dangereux pour eux. Donc ils sont en train de les contrer par le biais de l’université, par des choses informelles.
Hobb Story est aussi un spectacle sur la liberté des femmes. Est-ce que les femmes ont à craindre de ce régime ?
Oui autant que les artistes. Quand on voit que le parti islamiste dans sa stratégie a voté la parité sur les listes, tout cela pour faire bonne figure. Une fois au pouvoir il n’y a qu’une femme islamiste au Gouvernement. Lorsqu’on leur demande pourquoi ils répondent qu’ils ont constitué le Gouvernement par rapport à la compétence et pas par rapport au genre sexuel ! Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de femmes compétentes. Pour moi c’est grave. Sur le terrain les femmes sont insultées, menacées dans la rue. Ce ne sont plus des exceptions. Cela se produit tous les jours. Une de nos comédiennes se fait agresser dans la rue un jour sur deux. Alors oui elles ont à craindre qu’on les considère comme inférieures.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON
Bon courage Lotfi. Ne t’en fais pas. C’est un nuage qui passera. Keep doing what you’re doing. God bless!