L’autrice, metteure en scène et réalisatrice argentine Lola Arias offre à un groupe de femmes cisgenres et de personnes transgenres sorties de prison un espace d’espoir et de réparation. Sa forme est hélas trop figée et conventionnelle pour vraiment donner à voir ce que le théâtre est pour ces personnes : un lieu non pas seulement de représentation de la vie, mais aussi de transformation.
Pour Yoseli, Nacho, Estefanía, Noelia, Carla et Paula, Avignon a longtemps été aussi loin de leur horizon que leurs vies sont étrangères à celles des spectateurs du Festival. Cet écart, ce petit groupe de femmes cisgenres et de personnes transgenres sorties de prison le franchissent dans Los días afuera en surinvestissant d’abord les codes du théâtre, du moins tel qu’iels l’imaginent ou comme iels le voyaient avant d’être invité·es par Lola Arias à faire spectacle de leurs histoires personnelles. Les scintillantes robes rouges qu’iels portent tous·tes en montant sur scène, à l’exception de Nacho qui arbore fièrement un beau costard, disent à elles seules la grande chose que représente pour iels le simple fait d’être là, devant un public. Pour celui-ci, la chanson par laquelle le petit collectif ouvre la pièce est un seuil rassurant : mis en scène par Lola Arias, ses cinq interprètes ne sont pas là pour culpabiliser qui que ce soit par le récit de leurs galères. Aux yeux des ex-détenu·es, la musique apparaît d’emblée comme une possibilité d’habiter le présent, d’y retrouver une forme de liberté longtemps perdue. Elle réduit aussi la grande distance qui les séparent forcément de la salle, a fortiori dans le cadre d’événements théâtraux majeurs comme le Festival d’Avignon ou le Festival d’Automne où Los días afuera viendra poursuivre sa tournée française. Faute d’être porté par une esthétique suffisamment solide et singulière, ce rapprochement a hélas tendance à souvent frôler l’exhibition.
Le rideau rouge n’a pas encore été tiré pour laisser apparaître une voiture et un échafaudage – métaphore pour le moins appuyée des vies en reconstruction qui s’y racontent –, que Yoseli, Nacho, Estefania, Noelia, Carla et Paula se présentent et formulent l’objet de leur prise de parole. Iels sont sorti·es de prison depuis 900, 1000 ou 1600 jours, annoncent-iels fièrement façon alcooliques anonymes. Et iels sont là pour exposer leurs parcours au sein d’une société qui ne les a pas aidé·es – la pauvreté et/ou les violences familiales les menant au trou et les y ramenant souvent à peine sorties, à défaut de meilleures solutions. Los días afuera n’est pas leur première expérience artistique, et cela se sent en voyant l’assurance avec laquelle ces cinq personnes très différentes les unes des autres s’emparent du plateau et y alternent témoignages et chansons. Avant de se mettre à l’épreuve de la scène, iels ont effet joué avec d’autres ex-prisonnièr·es dans le film REAS, réalisé en 2022-2023 par Lola Arias pour donner forme à un travail de longue date dans des prisons de Buenos Aires. Ce long-métrage est la base du geste qu’iels déploient dans le spectacle : pour rejouer leur vie dans une prison de la capitale argentine, iels font déjà appel au langage de la comédie musicale, où les mondes marginaux sont habituellement peu présents, sinon de manière stylisée et romantique. On aurait pu s’attendre à ce que la pièce creuse cette démarche ou la déplace. C’est peu le cas. Aussi l’intérêt de l’opération se limite-t-il presque entièrement à son existence elle-même.
Le préalable à Los días afuera que constitue REAS, la relation ancienne qu’entretiennent les ex-détenues entre elles et avec l’artiste, habituée à créer pour le cinéma et le théâtre avec des groupes de non-professionnels d’horizons divers – des vétérans de guerre, d’anciens communistes ou encore des enfants de migrants – ne sont expliquées dans la pièce qu’à mi-parcours, et encore brièvement. Il y avait pourtant là de quoi offrir de la profondeur à une création qui témoigne très concrètement de la capacité de l’art à changer la vie. De même, donner à voir ou à sentir le processus de création du spectacle aurait sans doute permis entre les interprètes et leurs spectateurs une autre rencontre, plus distanciée et donc plus complexe que celle qui se produit en l’état. L’entrelacement de chansons et de témoignages, et la facture très chorale de ces derniers, sont encore des barrières à la rencontre sensible que l’on pouvait espérer. Structurée par thèmes pour la plupart très attendus dès lors qu’il s’agit de la prison – le jour de sortie, les visites, la stigmatisation, la difficulté à trouver du travail une fois dehors… –, la pièce brosse davantage le portrait-type d’une ex-taularde en Argentine qu’elle ne permet d’accéder à la personnalité de chaque interprète. C’est d’autant plus regrettable que le peu d’elleux qui nous parvient est d’une altérité passionnante, qui mériterait que l’on s’y appesantisse davantage et sous une forme à la hauteur des singularités en présence.
La violence particulière qu’il y a à être une femme ou une personne trans détenu en Argentine a aussi tendance à se perdre au milieu de considérations plus générales sur les réalités de la détention pénitentiaire. C’est pourtant un véritable phénomène social qu’effleure Los días afuera : le doublement au cours des dix dernières années de la population de femmes et de personnes transgenres en prison, lié, pour beaucoup, aux nouvelles lois contre le trafic de drogue, qui touchent les grands revendeurs et non les grands trafiquants. Ce rapport à la drogue qu’entretiennent Yoseli et les autres, ainsi qu’au sexe et à diverses pratiques cantonnées aux marges de leur société comme de la nôtre, est extrêmement délicat à aborder auprès de publics qui y sont étrangers. La proximité de Los días afuera avec le théâtre-forum, mis en place dans les années 1960 par le Brésilien Augusto Boal afin d’aider des communautés opprimées à dénoncer elles-mêmes les situations d’injustice dont elles sont victimes, n’aide guère les cinq apprenties comédiennes et chanteuses à le faire sans verser dans l’exhibition évoquée plus tôt. Car, contrairement au spectateur de théâtre-forum dont la participation est essentielle, le témoin de la pièce de Lola Arias demeure à la place muette qui est la sienne dans la grande majorité des salles de théâtre occidentales. Sans doute cela n’empêche-t-il pas Yoseli, Nacho, Estefanía, Noelia, Carla et Paula de vivre la création comme un espace de réparation. Le pouvoir de transformation du théâtre aura déjà agi à leur endroit, ce qui n’est pas rien.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Los días afuera
Conception, texte et mise en scène Lola Arias
Avec Yoseli Arias, Paulita Asturayme, Carla Canteros, Estefania Hardcastle, Noelia Perez, Ignacio Rodriguez
et Inés Copertino (musicienne)
Dramaturgie Bibiana Mendes
Collaboration artistique Alan Pauls
Traduction pour le surtitrage Alan Pauls (français), Daniel Tunnard (anglais)
Scénographie et décors Mariana Tirantte
Chorégraphie Andrea Servera
Musique Ulises Conti, Inés Copertino, Augustin Della Croce
Lumière David Seldes
Vidéo Martin Borini
Costumes Andy Piffer
Assistanat à la mise en scène Pablo Arias Garcia
Régie générale David Seldes
Régie vidéo Martin Borini
Régie son Ernesto Fara
Montage de la production et des tournées Lison Bellanger, Emmanuelle Ossena (EPOC productions)
Direction de tournée Lucila Piffer
Administration et production Mara Martinez (Lola Arias Company)
Production Luz Algranti, Sofia Medici
Production technique Ezequiel Paredes
Assistanat réalisation décor Lara Stilstein
Assistanat réalisateur CTBA Julián Castro, Florencia Galano
Assistanat de production Juan Manuel Zuluaga Bolívar
Assistanat à la scénographie Lara Stilstain
Assistanat à la régie générale Facundo David
Casting Tálata Rodríguez (GEMA films)
Conseil juridique Felix Helou
Travail social Soledad BallesterosProduction Lola Arias Company
Production associée Gema Films
Coproduction Complejo Teatral de Buenos Aires, Festival d’Avignon, Festival d’Automne à Paris, Théâtre de la Ville (Paris), Théâtre national Wallonie-Bruxelles, Festival Tangente St Pölten, Kaserne Basel, La Comédie de Genève, Maxim Gorki Theater (Berlin), Nationaltheatret (Oslo), Scène nationale du Sud-Aquitain (Bayonne), Le Parvis Scène nationale Tarbes-Pyrénées, La Rose des vents Scène nationale Lille Métropole Villeneuve-d’Ascq, Next Festival, Théâtre national de Strasbourg, International Sommerfestival Kampnagel (Hambourg), Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Zürcher Theater Spektakel (Zurich), Künstler innenhaus Mousonturm (Francfort), The Brighton Festival, Centre dramatique national Orléans Centre-Val de Loire, Fonds TransFabrik deutsch-französischer Fonds für darstellende Künste
Construction des décors Ateliers de construction du Théâtre National Wallonie Bruxelles
Avec le soutien d’Onda – Office national de diffusion artistique
Remerciements Gema Juárez Allen et Clarisa Oliveri, Rita et Remo Pauls, Lucia Arias, Roy Kaplan, Laura Nicolás, Mariana Volpi, Mellisa Aller
Représentations en partenariat avec France Médias MondeDurée : 1h45
Festival d’Avignon 2024
Opéra Grand Avignon
du 4 au 10 juillet (sauf le 6), à 18hGrec Festival de Barcelona
les 13 et 14 juilletInternational Summer Festival, Hambourg
du 8 au 10 août 2024Zürcher Theater Spektakel, Zurich (Suisse)
du 15 au 17 août 2024Kaserne Basel, dans le cadre du Festival Basel
les 20 et 21 aoûtThéâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 3 au 5 octobre 2024Théâtre de la Croix-Rousse, dans le cadre du Festival Contre-Sens, Lyon
du 17 au 19 octobreMAC Créteil, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
les 6 et 7 novembreLa rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq dans le cadre du Next Festival
14 et 15 novembreLe Quai, Centre dramatique national d’Angers-Pays de la Loire
les 27 et 28 novembreScène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne
Les 4 et 5 décembreLe Parvis, Scène nationale Tarbes-Pyrénées
les 9 et 10 décembreTandem Scène nationale d’Arras-Douai
les 28 et 29 janvier 2025Théâtre national de Strasbourg
du 3 au 7 févrierThéâtre national Wallonie-Bruxelles (Belgique)
du 12 au 15 févrierdeSingel, Anvers
les 21 et 22 févrierComédie de Genève
du 27 février au 1er marsThéâtre national de Bordeaux en Aquitaine
du 19 au 21 marsCentre dramatique national Orléans Centre-Val de Loire
les 26 et 27 marsKünstlerhausMousonturm Frankfurt am Main (Allemagne)
les 3 et 4 avril
Très bonne analyse, heureusement qu’il reste encore de la bonne critique.