Se saisissant d’une copie du célèbre tableau de Gustave Courbet, Nicolas Heredia s’essaie à une conférence spéculative absurde. De prime abord passionnant, l’exercice ne dépasse finalement pas le didactisme scrupuleux de son propos.
Quelle est la valeur d’une œuvre ? Quelles sont les mécanismes (affectifs, sociaux, financiers) pouvant au cours du temps influer sur l’évolution de cette valeur ? Voilà certaines des questions soulevées par l’auteur, metteur en scène, acteur et scénographe Nicolas Heredia avec L’Origine du monde (46X55). Développant au sein de sa compagnie La Vaste entreprise des projets ancrés dans le réel, à la lisière du spectacle vivant, de la performance et des arts visuels, le jeune homme s’appuie pour cette création sur une reproduction du célèbre tableau de Gustave Courbet.
Tout commence le plus simplement du monde : arrivant sur une scène garnie d’un pupitre et d’un panneau blanc en fond de scène – structure en triptyque indiquant le nom du spectacle, les dates de représentation passées et futures et contenant un écran –, Nicolas Heredia raconte l’origine de son projet. Soit sa trouvaille inopinée dans un vide-grenier d’une reproduction du tableau peint en 1866 par Courbet. Évoquant son hésitation à l’acheter en raison de son prix élevé, le comédien déplie ensuite les différentes réflexions suscitées par son acquisition, toutes ayant trait à l’évaluation de sa valeur. Et tout comme l’œuvre de Courbet, chantre du réalisme, représente de manière anatomique un sexe féminin sans aucun artifices allégoriques, ni références historiques ou littéraires – telles que la peinture avait l’habitude d’y recourir pour la représentation de nus – L’Origine du monde (46X55) scrute minutieusement tous les mécanismes d’évaluation et de spéculation entourant possiblement la copie.
Des recherches pour retrouver l’artiste signataire (une certaine Annie Martin) aux démarches d’expertise, de la législation encadrant strictement la reproduction d’œuvres d’art à la tentative de vente du tableau, Nicolas Heredia expose chaque étape par le menu et jusque dans ses moindres détails anecdotiques. Le spectacle se déploie ainsi à mi-chemin entre la conférence et la vente aux enchères, le sommaire dispositif scénographique redoublant ces références. L’exposition du tableau, comme l’écran situé sur le panneau central listant les étapes marquantes de l’argumentaire du comédien, renvoient à une présentation savante, étonnante pour ce qui n’est qu’une vulgaire copie. Il naît, forcément, de ce décalage un amusement, tout comme de l’absurdité de l’exercice spéculatif visant à tout évaluer, même les objets et actions qui échappent à ce type de rapports marchands.
Mais, à relater par le petit bout de la lorgnette chaque éléments et réflexions suscitées, Nicolas Heredia cède à un didactisme appuyé. Outre quelques mécanismes de suspens savamment ménagés – que la compagnie souhaite préserver, demandant aux journalistes de ne pas les divulguer – le spectacle se maintient dans un propos faible, ne dépassant pas l’anecdote ou le léger prosaïsme. Tout étant dit, expliqué, plus rien ne demeure à la seule appréciation critique du spectateur. Plutôt que les enjeux liés à la spéculation et au marché de l’art, à la valeur d’une œuvre comme de tout ce qui nous entoure, ce sont les questions même des enjeux d’un spectacle que soulève inopinément L’Origine du monde (46X55) : la valeur d’un spectacle réside-t-elle dans ses effets de manche et de surprise ou, plutôt, dans sa capacité à excéder son propos pour susciter la réflexion ?
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
L’Origine du monde (46×55)
Conception, écriture, interprétation Nicolas Heredia
Collaboration artistique Marion Coutarel
Construction et régie Gaël RigaudProduction La Vaste Entreprise
Coproduction / accompagnement : La Baignoire – lieu des écritures contemporaines, Montpellier / Le Théâtre du Périscope, Nîmes / Résurgence – saison des arts vivants en Lodévois & Larzac / Le Printemps des Comédiens, Montpellier / Théâtre Jean Vilar, Montpellier / Le Sillon – scène conventionnée de Clermont-l’hérault / La Bulle bleue, Montpellier / Carré d’art – musée d’art contemporain de Nîmes / Musée Fabre, Montpellier. Aides et soutiens : DRAC Occitanie / Région Occitanie (compagnie conventionnée) / Réseau en scène Languedoc-Roussillon / Ville de Montpellier.Durée : 1 heure
15 et 16 juin 2023
L’Onde à Vélizy-Villacoublay
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