Accompagnée par la metteuse en scène Laetitia Gonzalbes, la comédienne et autrice Iman Kerroua porte London Bridge, autofiction sur les violences conjugales.
Pour London Bridge, premier spectacle dont elle signe seul le texte – l’un de ses précédents, MEDUSE, ayant été écrit à quatre mains avec Sarah Battistella –, Iman Kerroua s’essaie à l’autofiction, sans éviter toujours les écueils d’un tel exercice. Ici, le fameux pont londonien qui donne son intitulé au spectacle constitue autant le paysage de la vie à Londres du personnage principal, qu’une métaphore des liens reliant son enfance (marquée par un tout autre paysage) à certains choix et comportements ayant émaillé sa vie d’adulte. Mais reprenons. Lorsque le spectacle débute, on découvre à jardin un simple bureau avec une chaise, un ordinateur et une tasse – le tout d’une blancheur éclatante – et où seul le téléphone est noir (signifiant l’incursion du monde extérieur dans le quotidien bien réglé du personnage). À cour, plus en retrait, une batterie aux multiples percussions.
C’est dans cet espace sobrement investi et où chaque territoire du récit à venir sera délimité par la création lumières précise que les deux interprètes prennent place. Et tandis qu’Iman Kerroua va déplier jusqu’à la lie l’histoire à venir, le batteur Dogan Poyraz va l’accompagner, bruitant autant les moindres sons du quotidien narré que donnant corps aux émotions qui parcourent le personnage principal. Ce personnage, c’est Imen. Mais comme le dit l’autrice et comédienne dans la note d’intention accompagnant le spectacle, « Imen, c’est moi. C’est la femme d’affaires et la collégienne que j’étais ». Et à dire vrai, il n’est pas nécessaire d’avoir lu cette note d’intention ou toute autre information sur le spectacle pour en saisir la part autobiographique, tant la comédienne investit avec une intensité sans limites son propos. Pas à pas, le public découvre la vie actuelle d’Imen, hyperactive travaillant dans une banque d’investissement à Londres. Ce stéréotype s’il en est de la Business woman dédiée à son travail dessine une femme intransigeante, sèche, dure et cynique. Toutes ces séquences sont construites en alternance avec d’autres, des flashbacks nous renvoyant à son adolescence. Détaillées de façon très – trop, même – scrupuleuses, ces scènes décrivent par le menu la violence du père. Une violence adressée en premier lieu à son épouse, mais qui rejaillit forcément sur la fratrie, des deux sœurs aînées aux deux petits frères.
En relatant divers épisodes de maltraitances, le personnage d’Imen interroge la complaisance et la complicité de l’entourage ayant permis la perpétuation de ces violences : voisines et voisins, enseignantes et enseignants. Et en passant sans cesse de son quotidien où elle brille par sa maîtrise des codes virilistes régissant son champ professionnel, à l’évocation de souvenirs, les ponts se dessinent, s’affirment, se répètent. Trop, même. Pourtant il y a bien une pertinence à tresser ainsi la violence subie – à laquelle l’enfant n’a jamais vraiment réagi, intériorisant sa souffrance et laissant les larmes à sa sœur et ses frères – et la violence qu’elle exprime aujourd’hui, que ce soit par son impulsivité ou son absence totale d’empathie. Tout comme il est pertinent de souligner l’importance de l’imaginaire et du théâtre, pour se (re)construire.
Mais en s’enferrant dans des détails et dans des redites, qu’il s’agisse de séquences vécues enfant ou de celles traversées adultes, l’histoire se laisse prendre à son propre piège. Soit à une description certes terrible de mécanismes de violence, mais qui par leur redondance empêchent la mise à distance permettant de donner à cette autofiction l’ampleur d’une auto-analyse. Ce souci consciencieux de la description se retrouve dans le jeu comme dans la partition musicale. Quoique virtuose, la proposition de Dogan Payraz en vient, à vouloir tout illustrer et exprimer, à par instants étouffer l’histoire comme ses enjeux. Idem pour l’interprétation d’Iman Kerroua. La comédienne, dont l’amplitude de jeu et la capacité à passer avec fluidité d’un personnage à l’autre, d’une émotion à l’autre, sont indubitables, se révèle trop en force, empêchant une plus grande intériorisation des expériences et émotions. Le besoin de tout dire, tout exprimer, tout signifier, en vient alors à faire écran à la violence même de cette histoire, à ses répercussions profondes et tenaces, aux mécanismes qui les sous-tendent. Souhaitons, alors, que l’exploitation qui débute au Théâtre de Belleville permette à l’équipe de resserrer l’ensemble de la proposition, pour lui permettre de se déployer avec moins d’excès et de littéralité.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
London Bridge [création]
Texte et jeu Iman Kerroua
Mise en scène et création lumière Laetitia Gonzalbes
Création musicale Laetitia Gonzalbes et Dogan Poyraz
Musique live Dogan PoyrazProduction La Compagnie Kabuki
Remerciements Ville d’Alfortville, Souffleurs de Sens, Ville de Thorigny-sur-Marne et Association MariciDurée 1h20
Du jeudi 2 au vendredi 31 mai 2024
Jeu., Ven. & Sam. à 19h, Dim. à 15h
Théâtre de Belleville
16, Passage Piver
75011 Paris
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