On ne veut pas vous le survendre mais le Live de Stéphanie Aflalo se pose à nos yeux comme un incontournable. Concert comico-existentiel qui détourne les codes des grands shows musicaux, fait rire et étonne sans cesse, Live propose une traversée aussi drôle qu’originale de l’univers baroque d’une jeune artiste fourmillante d’idées dont le plus grand des talents est peut-être de ne pas se prendre au sérieux (comme tous ceux qui savent qu’ils vont mourir).
On l’avait découverte légère et pleine de gravité dans Ahouvi, puis en médiatrice bien particulière de l’art contemporain (L’amour de l’art). Live, spectacle qu’elle a entièrement concocté – écrit, interprété, mis en scène, composé et chanté est éclatant. Comme pour tout objet singulier et riche, les catégories tremblent et la densité du truc fait qu’on ne sait pas trop par quel bout le prendre. Mais essayons quand même.
Live prend donc la forme d’un concert de pop star. De l’arrivée sur scène de la chanteuse qu’on attend indéfiniment aux rappels et adieux déchirants d’avec le public qu’elle quitte en pleurant, la dramaturgie suit fidèlement le cours d’un show musical, avec ses projections vidéo, ses lumières grandiloquentes, ses déclarations d’amour enflammées et autres hurlements de la foule. Stéphanie Aflalo pose un œil amusé sur l’exercice codifié et son hystérie immanente mais ne s’adonne pour autant à la moquerie, ni à la parodie. Un peu bien sûr, quand même. Il faut bien l’avouer. C’était tentant et elle aurait eu tort de s’en priver. Mais son propos déborde largement la contrefaçon des rituels du concert. Il constitue surtout un objet artistique très personnel, intime et politique, qui tire dans tous les sens. Mi one woman show, mi concert, mi coq à l’âne, mi surréaliste, mi philosophique, mi angoissé mais complètement drôle, obstinément déroutant, vous prenant sans cesse à contre-pied, prenant son temps et ne s’attardant jamais, comme si l’artiste avait le don médiumnique de capter votre ressenti avant même que vous n’en soyez conscient, Live a toujours un temps d’avance et Stéphanie Aflalo vous y secoue de rires et de mortelles pensées sur elle-même, vous-même, les autres et notre ridicule finitude.
De l’envie de se faire caca dessus à la chanson Pardon, de l’anosognosie aux détecteurs de lumière défectueux dans les toilettes, de la croix gammée qui y est dessinée à la mère trop angoissée pour rassurer son enfant, de Platon à son professeur de français qui rêve en noir et blanc, le spectacle passe d’une chanson à l’autre – souvent interprétée dans un parler-chanter et entrecoupée de longues transitions si bien qu’on ne sait plus trop où l’on en est, est-ce que l’on chante, est-ce que l’on cause – dans un déroulé sinueux, aux connections souterraines qui dessinent un paysage où se révèlent quelques fêlures de l’artiste qui pour autant ne se représente pas en grande névrosée mais exploite surtout sa capacité à transformer sa petite folie intérieure en un humour aux multi-formes surprenantes. S’y dessine alors, à travers des mélopées électroniques aux formes basiques, une tentative de désacraliser l’artiste, comme Aflalo le fait par ailleurs dans L’amour de l’art. De moquer la pop star et ses minauderies. Le concert et ses manipulations. Mais surtout de se rappeler tous ensemble combien petits nous sommes, tous et toutes, stars et inconnus, orgueilleux qui ont peur du noir, anosognosiques qui ne veulent jamais s’avouer qu’ils vont mourir, artistes sur scène et êtres pascaliens se rendant au concert pour y retrouver la berceuse de maman autant que pour se divertir de la perspective de la mort. Chers humains, dérisoires et merveilleux.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Live de Stéphanie Aflalo
Création et régie vidéo Pablo Albandea
Collaboration musicale & régie son Léo Kauffmann Création lumière Philippe Ulysse
Régie générale Romain Crivellari
Production johnny stecchino
Directrice de production Maria-Carmela Mini
Chargée de production et de diffusion Lisa Antoine
Chargée d’administration Adèle Devos
Chargée de communication Louise Marion
Attachée de communication Astrid Herbron
Production déléguée Latitudes Prod, Lille
Coproduction La Pop, La Villette
Avec le soutien de la DRAC Hauts-de-France et de la SPEDIDAMDurée : 1h40
Du 19 au 21 décembre 2023
Théâtre du Norddu 17 au 23 février 2024
La Coupole du Théâtre de la Ville – Paris
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