Au théâtre de l’Atelier à Paris, Laetitia Casta et Roschdy Zem rejouent avec beaucoup de sensibilité le film d’Ettore Scola dans une mise en scène de Lilo Baur.
Campés à l’écran par Sophia Loren et Marcello Mastroianni, les deux personnages centraux du film de Scola, nommés Antonietta et Gabriele, se distinguent par leur condition d’étranger à eux-mêmes et au monde. Confinés dans un immeuble le temps d’une mince journée, ils vont vivre hasardeusement une sorte de libération éphémère. Elle est une épouse et une mère infiniment docile et dévouée, simple et ignorante en apparence ; lui, le locataire du troisième étage, est un intellectuel licencié de la radio où il travaille comme présentateur parce que homosexuel et aussitôt stigmatisé. Ces deux solitudes exacerbées sont soudainement réunies à l’occasion d’une rencontre causée d’abord par l’échappée d’un oiseau que la femme tient en cage dans sa modeste cuisine, puis tragiquement avortée par le départ de l’homme vers un camp de détention où le régime envoie criminellement les « subversifs », les « invertis » comme lui. Aussi brève que déterminante, leur rencontre se déploie passionnément, entre trois pas d’une rumba désinhibée, quelques forts coups d’éclat sur une terrasse ensoleillée, entre gifle instinctive et baisers volés, discussions prolixes et étreinte lascive.
Répondant strictement à l’unité de lieu, de temps et d’action comme la tragédie antique et classique, cette journée particulière annoncée dès le titre est celle du 8 mai 1938, jour de fête nationale au cours duquel Hitler rend une visite triomphale à Mussolini tandis que Rome entière défile dans la rue et que grimpe le fascisme vers son hégémonie. Le texte s’inscrit dans une temporalité nécessairement datée – son contexte historique est souligné par le bruyant vol des aéroplanes et les chants martelés des patriotes – mais son propos, qui dénonce les préjugés rances car chargés d’hostilité face à la différence, ne peut que frapper par son actualité. Le caractère cyclique du temps et de l’Histoire est sans doute une raison pour laquelle le film sorti en 1977 est toujours assez souvent monté au théâtre, en Italie comme en France, et avec un certain succès. Sans chercher à trop s’affranchir de la version originale, la mise en scène proposée par Lilo Baur se présente comme un hommage fidèle sans non plus renoncer à toute inventivité.
Dans la lenteur, le silence, toute l’intimité nécessaire, le spectacle parvient à faire se déployer l’attraction progressive entre ses deux personnages, si beaux et complexes, paumés et a priori opposés. Laetitia Casta et Roschdy Zem leur offrent une belle authenticité, une tonalité grave et lumineuse, aussi vibrante que touchante. L’actrice joue avec passion et sans concession l’ardeur comme la fragilité d’une anti-héroïne qui, au contact de son voisin singulier, va parvenir à entrevoir la possibilité de s’émanciper, de se départir du moule familial et marital qui l’oppresse comme les idées doctrinaires mesquines et étriquées (culte voué au Duce et certaine idée réductrice sur la virilité) auxquelles elle se conformait. Modèle et repères illusoires se voient opportunément renversés par cette journée particulière dont l’effet produit est l’acceptation de soi, l’ouverture à l’autre, et le sentiment gagné de vraiment exister.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Une journée particulière
De Ettore Scola
Adaptation pour le théâtre Gigliola Fantoni et Ruggero Maccari
Texte français Huguette Hatem, édité à L’avant-scène théâtre, dans la Collection des Quatre-vents, 2022Mise en scène Lilo Baur
Scénographie Bruno de Lavenère
Costumes Agnès Falque
Lumière Laurent Castaingt
Musique Mich Ochowiak
Vidéo Etienne Guiol
Assistant à la mise en scène Robin Ormond
Régie générale Arthur Magnier
Textes dramaturgiques Valérie Six et Arnaud Duprat de MonteroAvec Laetitia Casta (Antonietta), Roschdy Zem (Gabriele) et Joan Bellviure (Emanuele), Sandra Choquet (La concierge)
Production Claire Bejanin et Valérie Six (Six&Sense) – Au Contraire Productions avec le Théâtre de Carouge, Genève
Coproductions Théâtre du Jeu de Paume – Les Théâtres, Aix-en-Provence et le Théâtre National de Nice, le Teatro Stabile dell’UmbriaAvec le soutien del’ADAMI
Remerciements Barthélémy Fortier, Jean-Paul Merlin, Valentin et Stéphanie Villeret
Crédit photo © Simon Gosselin
Durée 1h30
Création le 3 octobre 2023
Théâtre de Carouge à Genève, jusqu’au 21 octobre 2023Les 30 et 31 octobre à Equilibre & Nuithonie à Fribourg
du 2 au 31 décembre 2023
Théâtre de l’Atelier à Parisdu 10 au 12 janvier 2024
Théâtre National de Nice19 et 20 janvier
Châteauvallon-Liberté Scène Nationaledu 23 au 27 janvier
Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence13 février
Salmanazar Scène conventionnée d’Epernay
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