Le comédien Simon Eine est mort hier, quelques heures avant la première à Marigny de « Du côté de Guermantes« . Il était entré à la Comédie-Française le 1er septembre 1960, après être passé par les cours de l’École Dullin, le Centre d’Art dramatique de la rue Blanche et le Conservatoire d’art dramatique. Il a passé 44 ans au sein de la Comédie-Française, Eric Ruf, l’Administrateur lui rend hommage.
Je viens d’apprendre avec une grande tristesse le décès survenu hier d’un de nos sociétaires honoraires, Simon Eine. Nous sommes nombreux à nous souvenir de cet aîné ayant quitté la Troupe il y a quelques années et qui était revenu en tant qu’honoraire il y a peu nous réjouir de ses volutes vocales dans la mise en scène d’Hervé Pierre de George Dandin et de La Jalousie du Barbouillé.
Simon a traîné pendant des années sa force athlétique et son ombrageuse nature sur nos plateaux, puis l’acteur stentor a traversé des épreuves et nous l’avons découvert plus à nu, profitant pleinement de la qualité de son regard et de sa nature enfin apaisés. Je me souviens de son départ, d’une rare élégance. Il a gardé depuis un contact constant avec notre Maison, écrivant souvent, s’intéressant toujours. Simon nous a gratifiés il y a quelques années d’un très émouvant livre de souvenirs Des étoiles plein les poches, retraçant son parcours singulier d’enfant d’immigrés accueilli par la France.
Il avait découvert notre métier à 17 ans par le TNP de Jean Vilar et était entré à la Comédie-Française en 1960 dès sa sortie de Conservatoire couronnée par un prix de tragédie et deux prix de comédie. Jusqu’à son départ de la Troupe et son honorariat en 2004, après 44 ans de bons et loyaux services, il aura interprété près de 150 partitions dont nombre de rôles phares du répertoire, et fait plus d’une dizaine de mises en scène.
Il est décédé quelques heures avant notre première au Théâtre Marigny et quelques jours après les premières du Studio-Théâtre, du Studio Marigny et du Théâtre du Vieux-Colombier, comme s’il avait attendu la reprise de notre activité et de son théâtre pour partir en paix. Nos représentations de ce soir lui seront dédiées.
Éric Ruf, administrateur général
À l’âge de 17 ans, après avoir exercé, « par la force des choses », dix autres métiers, Simon Eine est bouleversé par la découverte du Théâtre national populaire dirigé par Jean Vilar. Le passeur est une jeune apprentie comédienne qui l’emmène vers ses premières leçons de théâtre. Il suit ainsi successivement les cours de l’École Dullin, du Centre d’Art dramatique de la rue Blanche et du Conservatoire d’art dramatique, dans la classe de Jean Yonnel. À sa sortie en 1960, il est engagé à la Comédie-Française, avec un prix de tragédie et deux prix de comédie en poche. Il débute dans le rôle difficile de Razoumykine dans Crime et châtiment de Dostoïevski mis en scène par Michel Vitold, reprend les rôles classiques de Titus (Bérénice de Racine) et Dorante (Les Fausses Confidences de Marivaux), puis joue Bajazet de Racine, et reprend les rôles de Ruy Blas puis de Don Saluste dans Ruy Blas de Victor Hugo.
Simon Eine enchaîne les rôles phares du répertoire, Philinte et Alceste du Misanthrope, Sévère dans Polyeucte, Antiochus dans Rodogune, Titus dans Bérénice, tient les rôles-titres dans Mithridate et Bajazet, joue Cinna puis Auguste dans Cinna, Oronte dans L’École des femmes mais aussi Valère (L’Avare) et Cléante (Tartuffe) de Molière. Il se frotte aux plus illustres auteurs, Shakespeare, Corneille, Marivaux, Hugo, Beckett, Giraudoux… mais aussi aux textes contemporains : il interprète au Théâtre du Vieux-Colombier Maman revient, pauvre orphelin de Jean-Claude Grumberg mis en scène par Philippe Adrien (1994), Le Square de Marguerite Duras mis en scène par Christian Rist (1995) ou encore Quatre quatuors pour un week-end de et mis en scène par Gao Xingjian (2003) et, au Studio-Théâtre, Une visite inopportune de Copi mis en scène par Lukas Hemleb (2001).
Acteur et metteur en scène, il a interprété près de cent cinquante rôles et signé plus d’une dizaine de mises en scène. Il a, entre autres, participé aux premiers spectacles de Jean-Paul Roussillon dont son Avare (1962) qui, après avoir été accueilli avec violence par certains critiques et déconcerté les abonnés, fera date. Il a travaillé avec André Steiger, Lluis Pasqual, Jean-Luc Boutté (notamment pour la première à la Comédie-Française de L’Impresario de Smyrne, 1985), Jacques Lassalle, Otomar Krejca, Patrice Kerbrat (pour la première à la Comédie-Française de Père de Strindberg, 1988). Sous la direction de Daniel Mesguich, il interprète au Théâtre du Vieux-Colombier le rôle-titre de Mithridate de Racine (1996) et, Salle Richelieu, le Brésilien dans La Vie parisienne d’Offenbach (1997) puis Prospero dans La Tempête de Shakespeare (1998). Jorge Lavelli le dirige dans les rôles d’Obéron du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare (1986) et du Grand Capitaine Oxenstierna dans Mère Courage et ses enfants de Brecht (1998). En 1999, il joue sous la direction de Jean-Michel Ribes le rôle d’Hans d’Ottenburg (Amorphe d’Ottenburg, 1999). Il retrouve par deux fois le rôle de Le Bret dans Cyrano de Bergerac dans les mises en scène de Jacques Charon (1964) et de Denis Podalydès (2006).
Parallèlement, il s’intéresse à la mise en scène et signe notamment, Salle Richelieu, les spectacles : L’Île des esclaves de Marivaux (1973), La Navette d’Henri Becque (1976), On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset (1977), Le Misanthrope et Les Femmes savantes de Molière (1989, 1998), Cinna ou la Clémence d’Auguste de Corneille (2000), à l’Odéon L’Éternel Mari de Dostoïevski (1986) et au Studio-Théâtre, Jacques ou la Soumission d’Eugène Ionesco (1997).
En tant que sociétaire honoraire, après 44 ans de « Maison », on a pu le revoir sur les scènes de la Comédie-Française notamment pour des lectures au Studio-Théâtre et au Théâtre du Vieux-Colombier. Au Vieux-Colombier, il a joué les rôles du Majordome, le médecin Nüsslin et Helmesberger dans La Visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt (mise en scène Christophe Lidon, 2014), ainsi que ceux de Colin et du Chef de troupe dans George Dandin suivi de La Jalousie du Barbouillé de Molière (mise en scène Hervé Pierre, 2016). Salle Richelieu, il est invité par Muriel Mayette-Holtz à interpréter les rôles de Camillo dans Le Conte d’hiver de Shakespeare (2004) et Arsace dans Bérénice de Racine (2011), tandis que Jacques Lassalle lui confie celui d’Oronte dans L’École des femmes de Molière (2011).
Hors Comédie-Française, il a joué, entres autres, au Théâtre Gérard Philipe dans La Marquise d’O d’Heinrich von Kleist mis en scène par Lukas Hemleb (2007), à l’Athénée Louis Jouvet dans Rêve d’automne de Jon Fosse mis en scène par David Géry (2008), et plus récemment en tournée dans Lorenzaccio de Musset mis en scène par Francis Huster (2014).
À la télévision, il a tourné notamment dans Le Capitaine Fracasse de Philippe Joulial, Fin de droit de Dominique Tabuteau (1992), Nestor Burma de Pierre Koralnik (1993) et, au cinéma, dansLa Nuit du destin d’Abdelkrim Bahloul (1999), Requiem d’Hervé Renoh (2002) ou encore Elle s’appelait Sarah de Gilles Paquet-Brenner (2010).
En 2012, il publie le recueil de souvenirs Des étoiles plein les poches où il retrace son parcours singulier d’enfant d’immigrés accueillis par la France, puis son « parcours d’artisan » au sein de la troupe de la Comédie-Française. La machine à coudre familiale, témoin émouvant de son enfance et sur laquelle il a parfois travaillé avec acharnement, a rejoint en 1981, après la mort de son père, le 6e étage de la Maison où se trouvent les ateliers de fabrication de costumes.
En 2016, il signe un recueil de nouvelles intitulé Humeurs variables.
Simon Eine est chevalier dans l’Ordre de la Légion d’honneur, officier dans l’Ordre national du mérite et dans celui des Arts et Lettres.
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