Venue de la scène berlinoise où elle a ses bases arrières, Leyla-Claire Rabih explore les origines de la révolution syrienne à la MC93. « Chroniques d’une révolution orpheline » surprend par sa mise en scène iconoclaste et audacieuse.
Qui se souvient des débuts de la révolution syrienne ? De cette jeunesse qui, dans la foulée du printemps tunisien, s’ébranlait chaque vendredi pour battre le pavé des plus grandes villes du pays avec pour principales armes des slogans démocratiques ? Depuis ces mois de mars et avril 2011, les images des manifestants sont passées à la trappe, remplacées par celles d’enfants gazés, de bombardements destructeurs, de champs de ruines désolés d’Alep à Palmyre. La « révolution » syrienne est devenue une « crise ». Les espoirs démocratiques d’une partie du peuple se sont envolés, tués dans l’œuf par le régime de Bachar el-Assad.
Alors, Leyla-Claire Rabih a entrepris d’en revenir aux sources, de remonter les racines de cette « révolution orpheline ». Pour cela, elle s’est appuyée sur trois textes de l’écrivain syrien Mohammad Al Attar. A priori, les histoires de « Online », « Tu peux regarder la caméra » et « Youssef est passé par ici », écrites à chaud entre 2011 et 2013, n’ont pas grand-chose à voir. Et pourtant, le triptyque de la metteuse en scène franco-syrienne révèle un même substrat, fait de terreur face à la mort qui rôde, de doutes sur les combats à mener et de personnages simples, jeunes gens de tous horizons, entraînés dans un conflit qui les dépasse et dont ils sont à la fois acteurs et spectateurs.
A la lisière du théâtre documentaire, sa mise en scène polymorphe colle au rythme textuel. Au patchwork de témoignages et de modes d’écriture, elle adjoint un patchwork théâtral iconoclaste où les prises de risques se succèdent. Pour raconter l’échange de mails de « Online », elle opte pour un dialogue en syrien qu’elle traduit en simultané ; pour suivre le périple de Farès, parti à la recherche de son ami dans « Youssef est passé par ici », elle a embarqué ses comédiens au Liban afin de tourner des images qui leur servent de support de travail. Toujours, le jeu le dispute au récit, les vidéos aux photos, la lecture à l’improvisation. Avec, à chaque fois, la même simplicité et le même recul. Les mots y sont aussi durs que le ton est doux, le propos aussi âpre que la façon de faire est délicate.
Liée intimement à la kyrielle de personnages qu’elle scrute, la metteuse en scène franco-syrienne qui a appris auprès des plus grands – Thomas Ostermeier, Manfred Karge, Robert Cantarella – imprime sa marque et interroge sa propre mémoire. Le « que dire ? » et le « comment raconter ? » sont la source de ce travail mémoriel qui vise, avec partialité mais sans fausse pudeur, à éviter que ces événements ne sombrent à tout jamais dans l’oubli. Particulièrement convaincant dans ses deux premières parties, portées notamment par la belle performance d’Eurydice El-Etr, le spectacle s’étiole légèrement dans la troisième. Moins construite, plus fouillis, elle regorge d’idées qui se superposent et s’entrechoquent, jusqu’à donner l’impression qu’elles manquent d’une colonne vertébrale, comme si la troupe n’avait jamais vraiment dépassé le stade de la table de travail. Et pourtant, on ressort de ces « Chroniques d’une révolution orpheline » plus intelligent, éveillé, ravi aussi d’avoir découvert une metteuse en scène audacieuse qu’on espère, à l’avenir, voir plus régulièrement de ce côté-ci du Rhin.
Chroniques d’une révolution orpheline
D’après les textes Online, Tu peux regarder la caméra ?,Youssef est passé par ici de Mohammad Al Attar
Traduction Jumana Al-Yasiri et Leyla-Claire Rabih
Mise en scène Leyla-Claire Rabih
Avec Soleïma Arabi, Wissam Arbache, Eurydice El-Etr, Leyla-Claire Rabih, Grégoire Tachnakian, et Elie Youssef
Scénographie et vidéos Jean-Christophe Lanquetin
Collaboration artistique Catherine Boskowitz
Conseil artistique Jumana Al-Yasiri
Assistanat à la mise en scène Philippe Journo
Création sonore Anouschka Trocker
Assistanat à la scénographie Maxime Chudeau
Régie générale Anthony Dascola et Christophe Pierron
Production Grenier Neuf
Coproduction Théâtre Dijon Bourgogne — CDN ; MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis — Bobigny ; Théâtre Paul Éluard, Scène conventionnée pour la diversité linguistique — Choisy-le-Roi
Avec le soutien de Ville de Dijon ; Région Bourgogne-Franche-Comté ; DRAC Bourgogne-Franche-Comté ; Institut français ; Spedidam ; Les Rencontres à l’Echelle — Cie Les Bancs Publics ; Cie ABC ; Institut Français du Liban ; Collectif Zoukak — Beyrouth (Liban) ; Maison Antoine Vitez ; Centre Français de Berlin (Allemagne) ; Moussem, Centre nomade des arts (Belgique) ; La Lucarne — Arradon, EPCC Scènes du Golfe ; La Filature, Scène nationale — Mulhouse.
Durée 2h15Du 25 au 27 mai 2017 > Festival Théâtre en mai — Théâtre Dijon Bourgogne, CDN
Du 2 au 10 février 2018 > MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis — Bobigny
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