Depuis sa création en 1906, cette « tragédie enfantine », comme la qualifiait l’auteur, est régulièrement montée. Mais, aujourd’hui, a-t-elle toujours la force qu’on lui prête ?
Franck Wedekind écrit L’Éveil du printemps en 1891. Il est alors âgé de 26 ans, un peu plus de dix ans le sépare de l’âge des héros de sa pièce, un noyau de trois adolescents. Ces enfants tendent alors un miroir aux adultes de leur époque, comme une déclaration : l’innocence que vous nous prêtez est illusoire, voici nos vies.
La pièce est censurée, épurée avant sa première représentation en 1912. La presse de l’époque remarque néanmoins que Wedekind « combat sans ménagement pour la vérité ». En effet, la tragédie montre des adolescents dans des situations dramatiques, provoquées par l’ignorance. Le même article de 1912 souligne que la mort de l’une des protagonistes est causée par un avortement, lui-même causé par la négligence de sa mère à « l’éclairer sur les rapports sexuels humains ». Dans le texte, les parents parlent encore de la cigogne à leurs enfants… Plus loin, le journaliste écrit que, dans cette pièce, nul ne pourrait « voir une incitation à une conduite de leur part immorale ou délictueuse ». En effet, rien de (volontairement) excitant à ces scènes de masturbations solitaires ou collectives, à ces rapports sexuels entre mineurs et ces initiations au sado-masochisme. Rien d’excitant non plus dans l’avortement et le suicide : seulement l’expression de la vérité.
Car, en effet, la pièce est un portrait naturel où les jeunes s’éveillent à la sexualité, observent leurs montées de sève comme le printemps naissant. Fusent les questions sur le monde, sur la place que chacun doit occuper, les angoisses qui ne s’expliquent pas et dont les adultes semblent si lointains. Alors, ils parlent entre eux, loin de ceux qui leurs prêtent une innocence qu’ils n’ont plus (mais l’ont-ils déjà eue ?).
Ainsi, il est difficile lorsqu’on parle de L’Éveil du printemps, qui naît à l’époque où Freud construit ses théories et prouve l’existence de l’inconscient, de ne pas faire référence au père de la psychanalyse. Celui-ci fait référence au texte de Wedekind à deux reprises dans ses travaux : en 1901 dans Psychopathologie de la vie quotidienne et il y consacre une séance lors des rencontres hebdomadaires de la Société psychologique de Vienne en 1907. Cela en précisant que la pièce n’est pas une grande œuvre, mais un « document » : il y voit une succession de cas. En 1974, Jacques Lacan préface la première édition française du texte.
Alors, la pièce porte-t-elle encore la force qu’on lui prête ? A l’heure où l’information ne manque plus, bien au contraire, la pièce de Wedekind semble être devenue un classique pour les « sorties de promo ». Dans les années 1970, déjà, Jacques Rosner alors directeur du conservatoire montait la pièce avec les jeunes sortants, entre un Marivaux et un Vauthier. Dans Le Monde, Michel Cournot parlait du texte comme d’une pièce « à la mode ». Mais l’engouement qu’elle continue de provoquer aujourd’hui porte à croire qu’on n’en a pas encore tout dit…
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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