Nous publions ici une Lettre ouverte sur l’ingérence politique dans les lieux de programmation culturelle rédigée par plusieurs artistes dont Pierre Notte, Frédéric Sonntag, Josiane Pinson et le Collectif Les Filles de Simone. Ils dénoncent l’ingérence des politiques dans les programmations, avec des exemples à l’appui comme au Prisme de St-Quentin-en-Yvelines – où trois spectacles ont été déprogrammés.
Artistes, nous écrivons aujourd’hui cette « lettre ouverte » à tous nos concitoyenn.e.s, spectatrices et spectateurs, celles et ceux pour qui nous créons et avec qui nous partageons, car nous sommes tous concernés par ce constat : l’ingérence politique en matière de programmation artistique est de plus en plus importante.
Certains d’entre nous, voyant encore s’accroître la fragilité de leur situation, en font les frais violemment : ils sont « supprimés » de la programmation d’un ou plusieurs lieu(x). Pourquoi ?
Parce qu’une collectivité territoriale (ou groupement) l’a décrété et imposé, de chantage en harcèlement à peine dissimulé. Le partage des tâches est pourtant clair officiellement : les femmes et hommes politiques sont élu.e.s pour faire de la politique, les directrices et directeurs de structures sont nommé.e.s pour faire de la programmation.
Au Prisme, centre de développement artistique de St-Quentin-en-Yvelines, la fréquentation a augmenté de 9% cette saison, le nombre d’abonnés de 28%. C’est dire si un espace de création, de pensée, de liberté, d’émotion, de friction comme celui-là est plébiscité.
Pourtant, ce sont trois spectacles qui ont ainsi été supprimés, selon le bon vouloir de la tutelle principale, la veille de la présentation de saison 2016-17, que notre collectif mettait en scène.
Non pas supprimés parce qu’il n’y a plus d’argent, non, supprimés parce que… et bien on ne sait pas pourquoi, puisqu’ils vont être remplacés par trois autres. Ces trois-là – un concert, un spectacle de danse contemporaine, un seul-en-scène – supprimés parce que la tutelle l’a décidé ainsi.
On peut supposer que la « commande » (on ne peut parler de demande) pour les spectacles « remplaçants » concerne un one-(wo)man-show de tête d’affiche, peut-être un spectacle dramatique mais classique ou historique, et surtout du divertissement… On le suppose car on le voit de plus en plus en France : on l’a vu au Théâtre Athanor à Guérande, où le prix de Littérature Dramatique a été supprimé et la programmation conditionnée, on le sait à l’œuvre officieusement un peu partout à travers un coup de téléphone de la collectivité territoriale pour imposer tel nom, c’était la même absence de considération pour la démocratisation culturelle qui a voté la fermeture du Forum du Blanc-Mesnil… Les lieux sont de plus en plus contraints à remplir des critères qui correspondent, non plus à une stratégie de l’offre – et pourtant elle est riche l’offre culturelle – mais à une stratégie de la demande, une demande imaginée, présupposée sur la base d’un mépris incroyable envers les spectateurs, auxquels est attribuée une absence de curiosité que contredisent pourtant le quotidien et les chiffres de tous ces lieux.
Au Prisme, outre l’ingérence politique et le mépris des artistes, le mépris du projet du lieu, le mépris de la liberté de programmation (dont le principe est pourtant réaffirmé dans le projet de loi relatif à la Liberté de la création, à l’architecture et au Patrimoine (article 2 de la dernière version par le Sénat en date du 25 mai 2016), c’est aussi le mépris de l’argent des contribuable qui est affirmé, car c’est entre 12 000 et 15 000 brochures de la saison à venir qui vont être mises au pilon, ce qui correspond à une perte d’environ 10 000€, sans compter le coût des prochaines. Vraisemblablement, la municipalité d’Elancourt et la Communauté d’Agglomération de St-Quentin-en-Yvelines n’ont aucun mal à brûler de l’argent public puisqu’un erratum n’est même pas envisageable. Caprice ? Arrangement électoraliste après l’invalidation des élections à la Présidence de la Communauté d’Agglomération ? Nous ne saurons sans doute jamais.
Nous voulons alerter l’opinion, aux côtés de toutes celles et tous ceux qui s’y emploient déjà, sur la menace que ces agissements représentent non seulement pour la liberté de programmation, mais aussi en amont pour la liberté de créer, la liberté de penser, d’agiter des idées pour que nous nous maintenions vivants ensemble. Les personnes qui contribuent à la vie de nos lieux culturels sont passionnées, mènent un travail titanesque auprès des publics, tissent des liens forts entre artistes et spectateurs avec, en partage, ce bien commun qu’est la culture.
Les budgets en baisse chronique, les suppressions de postes dans les établissements rendent cette mission de partage de la culture de plus en plus difficile, chaotique, épuisante.
On brandissait crayons et liberté d’expression en janvier 2015. Dans les faits, on ne peut que constater l’hypocrisie de cette posture pour une bonne partie de la classe politique, quelle que soit l’échelle. Quand les collectivités territoriales jouent de plus en plus le jeu du clientélisme politicard, utilisent l’action de leurs établissements culturels comme monnaie d’arrangements obscurs, quand l’arrogance des « je paie donc je décide » gagne du terrain sur l’expertise et le travail des programmateurs.trices et écrase petit à petit le respect de la liberté de programmation et de création, c’est une société bien triste que nous laissons fabriquer.
Collectif Les Filles de Simone – Claire Fretel, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères
Josiane Pinson, comédienne et auteure
Equipe de Jours étranges : Anne Abeille, Caroline Ablain, Magali Caillet, Lucie Collardeau, Katja Fleig, Laure Fonvieille, Elise Ladoué, Catherine Legrand, Didier Martin, Pénélope Parrau, Thomas Poli, Annabelle Pulcini.
Sam Karmann, acteur, réalisateur.
Claire Jenny, chorégraphe-danseuse / compagnie Point Virgule.
Iffra Dia, chorégraphe
Frédéric Sonntag, auteur, metteur en scène et directeur de la Cie AsaNIsiMAsa, artiste associé au Prisme.
Pierre Notte, auteur et metteur en scène, pour la compagnie Les gens qui tombent, en résidence au Prisme à Élancourt de 2012 à 2015.
Noémie Rosenblatt, comédienne et metteuse en scène.
Angeline Croissant, scénographe.
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