Nous reproduisons en intégralité une lettre de Rodrigo García, le directeur du CDN de Montpellier, destinée aux acteurs, aux techniciens et à toute l’équipe (16 personnes) qui participent à la pièce de Golgota Picnic qui devait être jouée dans le cadre du Printemps des Comédiens. C’est une lettre choc dont il est difficile d’extraire un extrait, voilà pourquoi on vous propose de la lire en intégralité.
Chers amis,
Comme vous pouvez le voir, ce mail a été écrit à 3 heures du matin le 5 juin, et pas parce que j’ai fait la fête ; simplement je n’arrive pas à dormir.
Les représentations de Golgota Picnic ont été annulées.
Cela ressemble à ce que certains d’entre nous ont vécu en 2003, lorsque nous avions des représentations prévues à Avignon et que nous sommes restés chez nous parce que le festival avait été annulé par le boycott des intermittents du spectacle qui revendiquaient leurs droits.
Aujourd’hui, onze ans plus tard, la même chose se produit. Les intermittents mènent un combat légitime contre l’Etat français et préparent des grèves pour empêcher que l’on touche à leurs droits.
Ils commencent à boycotter le premier festival de printemps-été du sud de la France : Le Printemps des comédiens, et si les choses ne s’arrangent pas ils continueront certainement avec le festival Montpellier Danse et finiront peut-être par empêcher celui d’Avignon, comme en 2003, à moins que le gouvernement ne cède et négocie.
Moi, au nom du CDN, j’ai laissé il y a quelque temps la grande salle du théâtre aux Intermittents pour la première Assemblée générale.
Moi, au nom du CDN, j’ai signé il y a deux jours une lettre de soutien aux intermittents adressée au Premier Ministre Emmanuel Valls.
Moi, ce matin, j’avais une réunion à la DRAC avec 18 autres directeurs qui font partie comme moi de ce qui s’appelle le Comité d’experts : nous nous réunissons pour débattre des compagnies régionales qui obtiendront des conventionnements et des subventions. Nous avons décidé ce matin de ne pas faire notre travail et de rejoindre la grève et nous avons rédigé une lettre en faveur des intermittents.
Moi, cet après-midi, j’ai décidé que nous annulions Golgota Picnic en geste de soutien aux droits des travailleurs français que l’on appelle les intermittents du spectacle.
Lorsque j’explique, entre autres, que l’un des comédiens de notre compagnie (Gonzalo Cunill) a renoncé à un travail de plusieurs semaines en Espagne juste pour faire trois représentations de Golgota Picnic à Montpellier, ça n’intéresse personne.
Tout le monde se fout de savoir que d’autres pâtissent économiquement de tout ça.
Qu’ils aillent se faire foutre, les artistes et techniciens espagnols, italiens et portugais de notre équipe, eux qui ne reçoivent aucune aide de l’Etat quand ils ne travaillent pas parce qu’ils ne travaillent pas en France, en Belgique ou en Suisse.
Tout le monde se fiche de savoir qu’à cause de cette annulation, toute l’équipe de Golgota Picnic perd l’opportunité de faire un autre travail et de toucher un salaire pour vivre avec leurs familles, tout le monde se fiche qu’il s’agisse de pays en crise où il n’y a pas de travail.
Les intermittents français défendent leurs droits avec un égoïsme prononcé et ne se préoccupent pas de ce qui se passe autour d’eux.
C’est digne d’une étude anthropologique ; parfois tout à l’air tellement primitif, comme dans Tristes tropiques de C. Lévi-Strauss. Il faut aussi dire que l’assemblée de cet après-midi a connu ses moments stalinistes, qui m’ont paru sombres et pathétiques. Et pourtant, je suis avec eux. Nous les soutenons.
Et plus encore : personne ne se soucie du plus grand perdant : le public, les citoyens, leurs voisins, les professeurs de leurs enfants ou les médecins qui les soignent, c’est-à-dire le public qui, quand il cesse d’être professeur ou médecin, va au théâtre. Qu’ils aillent se faire foutre. Cet été ils resteront à la maison à jouer au solitaire ou ils iront se balader à Odysseum, parce qu’il n’y aura ni opéra, ni théâtre ni danse.
Le débat sociologique et philosophique sur ce sujet serait interminable et je ne veux pas commencer à en discuter dans ce mail que j’écris seulement pour vous communiquer la mauvaise nouvelle de l’annulation.
En tant que directeur d’une institution, j’ai pris parti pour l’un des deux camps, celui des intermittents du spectacle, qui ont été trahis par le parti socialiste. Hollande n’a pas tenu ses promesses. La ministre de la culture refile la patate chaude au ministre du travail qui refuse de faire marche arrière.
En prenant cette décision, je me sens sur le plan personnel comme une vraie merde, parce que nous ne pouvons pas faire notre pièce en juin comme c’était prévu (nous avions reçu tellement de demandes de places que nous avions ajouté une troisième représentation) et que vous, comme moi, nous retrouvons privés d’un premier contact artistique avec la ville de Montpellier.
Je suppose que ma décision d’annuler la pièce et de me situer du côté des intermittents ne plaira pas beaucoup au Ministère du travail. Je suppose que cette lettre, que nous avons décidé de rendre publique, ne plaira pas beaucoup aux intermittents du spectacle. Très bien : je me prendrai des claques des deux côtés. Au moins je dis ce que j’ai à dire. Je crois indispensable de dire que les gens qui – et c’est leur droit – foutent en l’air un festival doivent prendre conscience des « dommages collatéraux », car il y en a, et pas des moindres.
Pas la peine de dire que les trois cents personnes qui étaient à l’Assemblée cet après-midi m’ont applaudi lorsque j’ai annoncé qu’on ne ferait pas Golgota. Je me suis senti et je me sens comme une merde. Parce que j’aime mon travail.
Je vous recontacte très vite pour savoir s’il est possible de présenter Golgota Picnic plus tard. On verra. Parce que cette annulation affecte, et beaucoup, l’économie précaire de notre petit CDN qui a l’ambition de grandir et de se moderniser.
Rodrigo
M Garcia, j’étais à cette assemblée générale, à laquelle vous avez annoncé votre décision. je vous ai applaudi.
je suis intermittent du spectacle, et sachez que non, vous ne recevrez pas de claques de ma part, car ce que vous exprimez, nous n’aurions pas pu trouver meilleurs mots pour exprimer ce que nous ressentons tous quand nous prenons la décision de faire annuler des festivals, des représentations. quand nous devons faire ce choix horrible de renoncer à nos passions.
nous nous sentons mal, comme des merde, nous nous sentons tristes, pour le public, pour nos collègues, pour nos situations que nous mettons en jeu, nos familles qui trinquent avec nous. nous sacrifions énormément, tous. artistes, techniciens, permanents, lieux, festivals et tous ceux qui partagent tout ça avec nous.
car comme vous nous aimons tous notre travail.
et redire que ces décisions sont lourdes de conséquences pour nous tous est essentiel.
mais sans votre soutien, nous serions encore plus mal.
merci.
monsieur Rodrigo Garcia
Vous le savez aucune grève n est décidée de gaite de coeur
Les artistes aiment leur travail – ils n ont pas toujours beaucoup l occasion de se produire – ils ont besoin de revenus pour vivre
C est le cas de tous les salariés – postiers, travailleurs de l industrie, hospitaliers, instituteur….
Votre lettre traduit bien la rage de ne pas pouvoir etre entendus quand notre demande est légitime
Rage aussi de constater que l argent existe et qu un gouvernement dit de gauche cède sur tous les sujets aux demandes du medef et du monde de la finance
La lutte des intermittents peut aussi être regardée donc autrement que comme une bataille pour conserver ce que d aucuns appellent des privilèges mais comme une lutte pour un juste droit une espece de procuration encore quand on ressent ce besoin pour nous mais que l on ose pas ou que l on est pas assez nombreux
je vous souhaite une belle lutte pleine de debats et de rencontres Meme si la grève n est pas faite de gaite de coeur
Monsieur Garcia
Que nous ne puissions pas voir Golgota Picnic,très attendu, pas plus que nous n’avons pu voir Macbeth hier au Printemps des Comédiens n’est pas le plus dramatique de la situation. Probablement que le MEDEF, à l’origine de l’action, a calculé son coup en entrant dans la réfome plus globale de l’assurance chômage par ce dossier sensible.
La situation des intermittents du spectacle est critique, nous en convenons, bien qu’il nous soit difficile d’en comprendre tous les aspects malgré une lecture approfondie des journaux. Difficile par exemple de trouver l’argumentaire -ou le raisonnement- des trois syndicats de salariés qui ont validé l’accord. On peut tout à la fois (comme certains d’entre nous, spectateurs)avoir signé des pétitions pour demander le réexamen de l’accord et son non agrément en l’état et alerter les intermittents en grève sur :
1/ nous ne sommes pas des ministres ….
2/ pourquoi s’acharner sur le seul printemps des comédiens, ce qui va provoquer sa faillite dans un contexte tendu, trop long à expliquer ici? Est ce un problème d’organisation de la lutte? la nécessité de rester tous groupés sur la seul ville de Montpellier pour les AG….? pourquoi n’avoir pas donné suite jusque là -si le mouvement est réellement suivi par les intermittents, cela devrait être réalisable- d’empêcher chaque jour un spectacle dans un festival différent?? Le CA du printemps des comédiens n’est pas composé uniquement de « notables », voici sa déclaration du jour:
http://www.printempsdescomediens.com/
Restons dans le débat…!
Pierre Merle, Montpellier
Je crois que personne n’a envie d’en arriver là mais la surdité typiquement française et rapport de force de représentativité fait que tout bloque toujours… C’est de cette inertie française qu’il faut sortir (qui, dans l’ensemble de la situation date depuis 20 ans de conflit en dehors des intermittents). La question des intermittents soulèvent d’autres questions, celle de la redistribution des richesses, enjeu mondial pour tous. et d’institutions en crise et bureaucratisée, il nous faut renaître à nous-même, tous.