Dans la salle de répétition du théâtre Tchekhov de Riga, les acteurs se réunissent pour une lecture en russe de la grande première de la saison, Lady Macbeth, mais l’affiche de la pièce n’apparaîtra pas dans la capitale lettone comme elle le ferait normalement.
Le conseil municipal a interdit au théâtre d’annoncer ses spectacles en russe, la langue de la plus grande minorité nationale de cet État balte. L’utilisation de la langue et plus généralement les droits des Russes en Lettonie sont devenus des sujets brûlants dans ce pays qui soutient ardemment l’Ukraine. « Nos publicités, nos affiches et nos programmes ont pratiquement disparu de la ville », assure Dana Bjork, directrice du théâtre situé au centre de la ville. Malgré l’interdiction de promouvoir ses pièces en russe, le théâtre continue de recevoir des fonds du ministère letton de la Culture.
Sur scène, les musiciens s’accordent et les acteurs répètent leurs pirouettes et leurs portés avant le spectacle du Nouvel An, un pot-pourri de chants et de danses centré sur un groupe de passagers bloqués à l’aéroport en raison d’importantes chutes de neige. Le spectacle s’ouvre sur Le son des cloches, un classique basé sur une chanson ukrainienne de Noël, Chtchedryk – un geste symbolique pour le théâtre, qui a condamné sans équivoque l’invasion de l’Ukraine par la Russie. « Notre théâtre est très actif contre la position pro-russe, contre la propagande », précise Dana Bjork.
Flammes de la suspicion
Sur la façade du bâtiment, une affiche exprime, en letton, en anglais et en russe, le soutien de l’établissement à l’Ukraine, affirmant qu’il « est un théâtre russe, pas un théâtre de la Russie ». « Nous exigeons à tout le monde de ne pas attiser les flammes de la suspicion, de l’inimitié et de la haine dans notre maison commune, la Lettonie ! » Dana Bjork a également enregistré un message condamnant la guerre, diffusé avant chaque représentation. Elle admet que les premières réactions du public ont été mitigées. « Certaines personnes se sont levées, ont claqué la porte et sont parties lorsqu’elles ont entendu l’enregistrement, a-t-elle déclaré. Mais deux ans ont passé et nous pouvons constater que notre public, dont une partie n’avait pas compris [le message, NDLR], a finalement écouté ».
Cet État balte de 1,8 million d’habitants a hérité d’une importante minorité russe après avoir recouvré son indépendance de l’Union soviétique en 1991. Environ 35% des habitants de la Lettonie parlent le russe à la maison. Depuis le début de l’invasion, le gouvernement a introduit une série de réformes, notamment pour faire du letton la seule langue d’enseignement dans les écoles publiques. Cette mesure a contraint les établissements russophones à changer de langue.
Pour Dana Bjork, qui est elle-même russophone, l’interdiction de la publicité en russe risque d’avoir des implications plus larges. « Si nous voulons assurer notre sécurité, si nous voulons une société unie et non divisée en petites cellules, nous devons trouver un moyen de communiquer de manière constructive et productive », prévient-elle. Ivan Straltsou, un acteur bélarusse qui a fui son pays allié de la Russie, est du même avis. « Nous devons parler toutes les langues possibles. Nous devons nous comprendre les uns les autres », soutient l’acteur, qui joue régulièrement au théâtre de Riga.
Lutter sans relâche
Dana Bjork attribue la décision d’interdire la publicité en langue russe aux partis politiques qui se disputent les électeurs à l’approche des élections municipales de juin. Le théâtre a demandé à un tribunal administratif d’annuler l’interdiction, mais le conseil municipal de Riga a déclaré qu’il défendrait sa décision. « La seule langue officielle de la République de Lettonie est le letton », a indiqué par courriel à l’AFP Martins Vilemsons, du département de la communication externe de la municipalité. Il a également souligné que le théâtre pouvait continuer à faire de la publicité dans les espaces publics extérieurs, mais uniquement en letton.
Interrogée par l’AFP, Baiba Murniece, une haute fonctionnaire du ministère letton de la Culture, a salué « la position très stricte » du théâtre sur l’invasion russe de l’Ukraine et estimé que ses activités étaient « un outil important pour l’intégration sociale et la création d’un récit social unifié ». Elle a toutefois déclaré que le ministère ne pouvait pas annuler l’interdiction imposée.
Pour Dana Bjork, le combat continue. « Nous nous battrons sans relâche contre ces attaques populistes contre la langue russe, la culture russe et tout ce qui est associé au mot ‘russe’, conclut-elle Une personne peut parler n’importe quelle langue, mais si elle est en faveur du meurtre, de la haine, de l’agression, c’est une mauvaise personne, ce n’est pas la langue qu’elle parle qui est mauvaise ».
Magdalena Paciorek © Agence France-Presse
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