Peu de soleils, mais des ciels chargés de lourds nuages, ce qui ne nous empêchera pas de trouver la lumière belle et le paysage surprenant, ce qui ne nous interdira pas de rire comme on rit sous la pluie, même d’orage, et de croire des éclaircies possibles, au bout de chemins qui n’apparaissent pas sur des cartes standard, tant on les dit dangereux et perdus. Et c’est pourtant bien ceux-là qu’ont empruntés les artistes de cette programmation, ces aventuriers de l’époque qui ont la faculté de se faire l’écho d’une parole pas encore prononcée.
Nous les avons suivis pas à pas, composant avec eux, pièce après pièce, le puzzle dont est faite cette édition 2014. Nous les avons vus déchiffrer les silences d’une jeunesse à la rage enfouie, à la fois emportée par la vitesse du monde et paralysée par l’absence
de réponses. Celle-là qui dérive dans des eaux noires, pensant reconnaître son visage délesté du doute et de la peur dans un miroir déformé par le mensonge, et qui, au nom d’une justice fallacieuse, s’autorise la barbarie : Martyr, Naz, Orphelins. Ou cette autre qui tente d’échapper à la violence, dénonçant l’héritage d’une société normée par les puissants, et qui refuse d’être convertie en bon petit soldat de l’obéissance : Peau d’âne, White, Théodore le passager du rêve, Laisse la jeunesse tranquille.
Nos guides nous ont conduits devant une maison, la maison, à l’intérieur de laquelle une famille faisait bien souvent contre mauvaise fortune mauvais cœur : Buchettino, Hansel et Gretel. Elle s’efforçait à masquer ses dysfonctionnements intimes sous le couvert de la modernité ou à justifier sa déliquescence avec les contrecoups de la crise –Western Society– jusqu’à ne plus différencier, au sein de sa fratrie, les sacrifiés des tortionnaires : Lettres de l’intérieur, Hotel Paradiso. Nous avons partagé avec ses membres la cigarette qui délasse, le verre qui anesthésie, et par eux nous avons connu le manque et la consolation : Sic(k). Nous avons joué avec eux, pour un ballon qui roule et qui ne changera pas leur vie, ou pour une bille qui saute sur les cases d’une roulette et qui ne sauvera pas leur âme. Et nous les avons regardés comme ils étaient, bêtes de somme et de sommeil, hommes de peu ou de trop de foi : Italie-Brésil 3 à 2, À la table de l’Éternité. (…)
Quand il nous fut donné de voir l’entièreté du chemin, nous comprîmes à quel point ce voyage-ci avait été passionnant, étonnant, déroutant, avec son lot de ténèbres qui rendaient plus lumineuses les explosions de clarté. Sans concession, sans commisération sur lui-même, il pût même parfois paraître cruel. Mais il sembla plus que jamais épouser les préoccupations des personnages rencontrés, avec la sensation irréductible que ceux-ci nous regardaient droit dans les yeux. Ainsi, ce périple, qu’il nous reste à partager, nous aura rendus forts pour un combat jamais perdu d’avance. Il nous aura appris à marcher résolument, à prendre de vitesse le temps, à résider dans le présent avant que celui-ci n’advienne, comme se doit de faire le véritable théâtre contemporain, qui est toujours en réalité un théâtre pour demain.
Guillaume Hasson directeur artistique
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