Pour la 15e édition de son festival, la troupe de Fontaine-Guérin s’attaque au Conte d’hiver de William Shakespeare et au Soulier de satin de Paul Claudel, et l’emporte, à chaque fois, à l’arraché.
Tenter d’accéder à la beauté suppose souvent, pour ne pas dire toujours, au théâtre comme ailleurs, une certaine prise de risques. Pour la 15e édition de son festival qui, à la fin de chaque été, anime le petit village mainoligérien de Fontaine-Guérin, la troupe du Nouveau Théâtre Populaire (NTP) a osé doubler la mise. D’une part, en concrétisant un rêve vieux de plus de dix ans : s’attaquer à l’une des montagnes, réputée très escarpée, du théâtre français, Le Soulier de satin de Paul Claudel ; de l’autre, en s’essayant à la transmission, en tentant de passer son flambeau, celui d’un théâtre à dimension populaire, exécuté dans son plus simple appareil, au contact de grands textes. Pour cela, les membres du NTP ont décidé de confier le plateau de bois de leur écrin de verdure à une nouvelle génération, représentée par plusieurs jeunes comédiennes et comédiens tout juste diplômés du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Au-delà des deux créations jeune public (Orson et Valentin et Wendy et Peter Pan), charge leur a été donnée de se mesurer au Conte d’hiver de Shakespeare.
Un Conte d’hiver en nuances de gris
Avec deux membres de la troupe (Valentin Boraud et Frédéric Jessua) pour guides, ils sont quatorze à s’élancer à l’assaut de cette pièce qui, en regard des autres oeuvres du grand Will, n’est ni la plus connue, ni la plus montée, ni, sans doute, la plus simple, dans sa façon de mêler les genres et les pays. Joliment orchestré par le jeune Mamilius qui semble, dans la version que Julien Romelard en livre, autant se remémorer que tenter de déjouer la tragédie familiale à venir, ce Conte débute de la plus féérique des manières. Incontesté roi de Sicile, Léonte reçoit, lors d’un fastueux banquet, son ami de toujours, par ailleurs roi de Bohème, Polixène. Alors que sa femme, Hermione, avec qui il paraît filer le parfait amour, s’apprête à accoucher de leur deuxième enfant, le monarque est soudain traversé par un sentiment en mesure de tout anéantir. En observant, au cours d’une danse, la complicité de son épouse et de Polixène, Léonte acquiert la certitude intime et absolue que le duo se paye sa tête et que l’enfant à naître n’est pas de lui, mais de son infidèle ami. S’ensuit un drame, à la lisière de la folie, comme seule la jalousie peut les engendrer : tandis que le roi de Sicile veut empoisonner le monarque de Bohème qui, in extremis, prend la fuite, Hermione accouche en prison de la petite Perdita, qu’Antigonus, sur ordre royal, doit abandonner.
À ce champ de ruines, causé par le dérèglement psychologique d’un seul homme, Julien Romelard a souhaité donner une tonalité aussi contemporaine que noire. Si, costumes de ville et traduction de Bernard-Marie Koltès à l’appui, la première partie du contrat est remplie, il en va autrement de la seconde. Encore en phase de rodage, le spectacle manquait, le soir de sa création, de ce soupçon d’intensité qui aurait permis de mettre le plateau véritablement sous tension. Malgré la limpidité de l’adaptation et le jeu convaincant d’Angèle Garnier, Jenny Trehoux et Olek Guillaume, poignant.e.s dans leurs rôles respectifs d’Hermione, Perdita et Mamilius, Arthur Louis-Calixte paraissait plus en dedans dans celui de Léonte, insuffisamment à l’aise pour transcender la folie du roi de Sicile. Surtout, pour profiter à plein du saut spatio-temporel imaginé par Shakespeare, Julien Romelard a tenté de relancer la machine théâtrale en donnant littéralement vie à la Fête de la tonte, qui symbolise le passage de Sicile en Bohème. Las, ce qui aurait pu se transformer en sursaut tend, malgré la performance de Hao Yang Wu, à décontenancer le public – obligé de se déplacer, avant de se replacer – et accouche d’une souris qui brouille la clarté initiale. Heureusement, Le Conte d’hiver reprend ses droits une fois de retour en Sicile, et offre une fin touchante d’humanité, où la rédemption et la réparation occupent une place de premier plan.
Le défi du Soulier de satin
En plein accord avec leur volonté de mettre les oeuvres du répertoire à la portée du plus grand nombre, les membres du NTP n’ont, à la suite de la tragicomédie shakespearienne, pas souhaité proposer une mise en scène intégrale du Soulier de satin qui, dans la version qu’Olivier Py en avait donnée au début des années 2000, durait près de 11 heures (entractes compris). Dans l’adaptation qu’il façonne des quatre journées claudeliennes, Lazare Herson-Macarel s’est « contenté » de deux soirées d’environ 2h20 – et d’une intégrale unique de 5h, entracte inclus, pour les plus téméraires. Mais, s’attaquer au légendaire Soulier, même ratiboisé, reste un pari difficile, et malheureusement en partie manqué au soir de la création de la première partie.
Au lieu d’assumer pleinement l’emphase féconde de cette pièce-monde en quête d’absolu, le metteur en scène a préféré l’entraîner – conformément, dit-il, au souhait de Claudel qui indique : « Il faut que tout ait l’air provisoire, en marche, bâclé, incohérent, improvisé dans l’enthousiasme ! » – du côté du théâtre de tréteaux, sans toutefois en pousser complètement les feux. Levier qui souligne les côtés les plus baroques de cette oeuvre aux accents subtilement comiques, ce parti-pris participe, dans le même temps, à sa dépoétisation et à la perte du pouvoir de sa langue. Si les comédiennes et les comédiens, à commencer par Baptiste Chabauty, Garance Robert de Massy et Camille Bernon, impayables dans leurs rôles respectifs de L’Annoncier, du Chinois et de Doña Musique, ne déméritent pas tout à fait, les personnages de premier plan (Don Rodrigue, Doña Prouhèze, Don Camille) sont insuffisamment dessinés, et incarnés, pour porter une histoire qui apparaît alors largement décharnée, hachée menue par un travail dramaturgique qui, à trop vouloir raccourcir l’action, a sacrifié le liant claudelien.
Malgré tout, à la faveur d’un improbable retournement de situation, les deux dernières journées condensées lors de la seconde soirée s’avèrent bien plus convaincantes que les deux premières. Propulsés par l’énergie des jeunes comédiennes et comédiens du Conservatoire, qui s’adonnent à un récapitulatif enjoué des épisodes précédents, les membres du NTP retrouvent de la vigueur et mettent leurs tripes sur le plateau. Toutes et tous parviennent à trouver le dosage juste entre des scènes tirées vers le comique, le burlesque, voire le grotesque, tel Émilien Diard-Detoeuf, exquis en Don Léopold doux-dingue, et les passages claudeliens par excellence, dont ils assument la langue qui, enfin, peut nous parvenir avec sa sublime musicalité. À leur contact, les personnages reprennent alors couleurs et consistance, à commencer par Don Rodigue et Doña Prouhèze, à qui Julien Campani et Hélène Rencurel offrent une profondeur qui n’a d’égale que leurs tourments. Le Soulier de satin retrouve alors son envergure, comme si la troupe était parvenue à se libérer du carcan dans lequel elle s’était elle-même enfermée. Couronnée de succès, cette seconde soirée semble de bon augure pour les représentations à venir, où la pression naturelle du Soulier sera probablement moins forte, où l’édifice de Claudel sera à n’en pas douter moins impressionnant et plus porteur, à la manière d’une montagne qu’on gravirait une nouvelle fois.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Conte d’hiver
Texte William Shakespeare
Traduction Bernard-Marie Koltès
Avec Valentin Boraud, Elena El Ghaoui, Elodie Gandy, Angèle Garnier, Marine Gramond, Olek Guillaume, Léa Guillemet, Frédéric Jessua, Shems Khettouch, Antony Leichnig, Arthur Louis-Calixte, Jenny Trehoux, Hao Yang Wu, Marcel Yildiz
Costumes Manon Naudet, Zoé Lenglare
Direction musicale Baptiste Chabauty
Création sonore Léonard Tusseau
Régie générale, lumière et son Thomas Chrétien, Marco BenignoProduction Nouveau Théâtre Populaire
Coproduction CNSAD-PSL
Avec le soutien des communes de Loire-Authion et de Baugé-en-Anjou, du Jeune Théâtre National, du Quai-CDN d’Angers et de l’Association des Amis du Nouveau Théâtre Populaire
Le Nouveau Théâtre Populaire est subventionné par le ministère de la Culture – DRAC Pays-de-la-Loire, la Région Pays-de-la-Loire et l’Entente-Vallée (Beaufort-en-Anjou, Les Bois d’Anjou, Mazé-Milon, La Ménitré)Durée : 2h40
Festival du Nouveau Théâtre Populaire, Fontaine-Guérin
les 19, 22, 25, 28 et 31 août 2023
Le Soulier de satin
Texte Paul Claudel
Mise en scène Lazare Herson-Macarel
Avec Marco Benigno, Camille Bernon, Valentin Boraud, Julien Campani, Philippe Canales, Baptiste Chabauty, Eddie Chignara, Emilien Diard-Detœuf, Clovis Fouin, Elsa Grzeszczak, Lazare Herson-Macarel, Frédéric Jessua, Hélène Rencurel, Garance Robert de Massy, Julien Romelard
Collaboration artistique Emilien Diard-Detoeuf
Musique Bravo Baptiste
Costumes Zoé Lenglare, Manon Naudet
Assistanat à la mise en scène et accessoires Thibault Delacoste, Juliette Eliezer
Construction de la maquette Éric Herson-Macarel
Peintures Pauline Bolcatto
Composition du thème Le Swing du frêne Sacha Todorov
Régie générale et lumières Thomas Chrétien
Régie générale et son Marco BenignoProduction Nouveau Théâtre Populaire
Coproduction CNSAD-PSL
Avec le soutien des communes de Loire-Authion et de Baugé-en-Anjou, du Jeune Théâtre National, du Quai-CDN d’Angers et de l’Association des Amis du Nouveau Théâtre Populaire
Le Nouveau Théâtre Populaire est subventionné par le ministère de la Culture – DRAC Pays-de-la-Loire, la Région Pays-de-la-Loire et l’Entente-Vallée (Beaufort-en-Anjou, Les Bois d’Anjou, Mazé-Milon, La Ménitré)Durée de la première partie : 2h20
Durée de la seconde partie : 2h15Festival du Nouveau Théâtre Populaire, Fontaine-Guérin
Première partie les 20, 23, 26 et 29 août 2023
Seconde partie les 21, 24, 27 et 30 août
Intégrale le 1er septembre
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