Plongée métaphorique dans la mécanique suicidaire, « Les Os noirs » fait de la noirceur jaillir la lumière. Façonnée dans un amas de plastique harassé par le vent, la dernière création de Phia Ménard et de la Compagnie Non Nova est une claque esthétique et sensorielle.
Au-delà de leur potentielle fulgurance intellectuelle ou plastique, les spectacles qui ont une âme sont rares. « Les Os Noirs » appartient à cette fine catégorie. En quelques puissants tableaux, particulièrement économes en mots dont ils se passent aisément, la dernière création de Phia Ménard et de la Compagnie Non Nova sonde des bas-fonds intimes rarement explorés. Son univers est peuplé de créatures, nos créatures, qui sorties des tréfonds du désespoir, assaillent, enrobent et avalent jusqu’à potentiellement étouffer la vie. Sombre, le propos de l’artiste l’est assurément. Pour autant cet examen métaphorique de la mécanique suicidaire n’est pas, comme on pouvait le craindre, une lente descente aux enfers. Elle relève plutôt du combat, paradoxalement lumineux, que chacun doit mener pour ne pas se laisser engloutir par ses propres ténèbres.
Épaulée par le vent qu’elle convoquait déjà dans ses précédentes créations Vortex et L’après-midi d’un foehn , Phia Ménard joue avec des bâches plastiques qui, tel un amas de bile noire, déstabilisent, puis submergent, une jeune femme incarnée par Chloée Sanchez. Aussi intimidée que déterminée, la marionnettiste-ventriloque – devenue comédienne le temps d’un spectacle – s’impose, sur son visage marqué comme dans sa gestuelle saccadée, un comportement de pantin. Au milieu d’une forêt hostile ou emportée dans une valse, elle ne semble plus tout à fait aux commandes, comme régie par une force toute-puissante qui la pousse à passer aux actes suicidaires. Mais à chaque fois, portée par une intense lumière blanche qui cherche à dissiper ce tourbillon de noirceur, la jeune femme se relève – encore plus forte.
Œuvre totale, Les Os noirs subjugue, peut-être avant toute chose, par son exploitation d’une matière, le plastique, dont toutes les propriétés sont habilement travaillées. Gonflé par le vent, il se métamorphose en vague ou en tronc d’arbre ; modelé, il se transforme en sac mortuaire ou en cercueil ; froissé, déchiqueté, puis assemblé, il donne vie à des monstres effrayants. Sa souplesse rigide s’en trouve alors sublimée. Outre ses impacts visuels, Phia Ménard cherche à cultiver son potentiel sonore. A l’extérieur, avec ce vent qui le malmène, mais aussi à l’intérieur, avec ces étranges bruissements, reconnaissables entre mille, qui lui confèrent des attributs du vivant, comme s’il avait acquis son autonomie propre.
Expérience esthétique et sensorielle, cette performance pluri-disciplinaire est d’une limpidité à faire pâlir bon nombre de spectacles qui, parce qu’ils sont plastiques, en deviennent hermétiques. Phia Ménard prouve que l’un et l’autre sont conciliables. Qu’il est possible de créer des images d’une intense beauté sans pour autant s’en contenter, de faire sourire pour, l’instant d’après, mieux faire frissonner. C’est là toute sa force, c’est là tout son charme. Proprement renversant.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les Os noirs
Phia Ménard • Cie Non Nova
Idée originale, dramaturgie, mise en scène et scénographie Phia Ménard
assistant à l’écriture et dramaturgie Jean-Luc Beaujault
interprétation Chloée Sanchez
composition sonore et régie son Ivan Roussel
création lumière et régie lumière Olivier Tessier
création costumes Fabrice Ilia Leroy
création machinerie et régie générale plateau Pierre Blanchet assisté de Mateo Provost
construction décor et accessoires Philippe Ragot
photographies Jean-Luc Beaujault
codirectrice, administratrice et chargée de diffusion Claire Massonnet
régisseur général Olivier Gicquiaud
chargée de production Clarisse Mérot
chargé de communication Adrien PoulardProduction : Compagnie Non Nova. Résidence et coproduction : Espace Malraux, Scène Nationale de Chambéry et de la Savoie. Coproduction : Théâtre Nouvelle Génération – Centre dramatique national de Lyon, Centre Chorégraphique National de Caen en Normandie – Direction Alban Richard, le Théâtre National de Bretagne et du Théâtre des Quatre Saisons, Scène conventionnée Musique(s) – Gradignan (33). Avec le soutien du Monfort Théâtre et du Théâtre de la Ville – Paris, du Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique (44), du Quai – CDN Angers Pays de la Loire et du Théâtre de l’Hôtel de Ville – Saint Barthélémy d’Anjou (49), du Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire (44), du Grand R – scène nationale – La Roche-sur-Yon (85), du Cargo – Segré (49), du Théâtre – Scène conventionnée de Laval (53), de la scène conventionnée Espace Jéliote-Oloron (64), de la Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau (34), du Théâtre d’Orléans, Scène Nationale (45), du Théâtre Les Treize Arches, scène conventionnée de Brive-la-Gaillarde (19) et de Equilibre-Nuithonie, Fribourg (Suisse). / Coréalisation Le Monfort -Théâtre de la Ville-Paris / La Compagnie Non Nova est conventionnée et soutenue par l’Etat – Préfète de la Région Pays de la Loire – direction régionale des affaires culturelles, le Conseil Régional des Pays de la Loire et la Ville de Nantes. Elle reçoit le soutien du Conseil Départemental de Loire-Atlantique, de l’Institut Français et de la Fondation BNP Paribas. La Compagnie Non Nova est artiste associée à l’Espace Malraux Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, au Théâtre Nouvelle Génération – Centre dramatique national de Lyon et artiste-compagnon au Centre Chorégraphique National de Caen en Normandie.
Durée : 1h
Le Monfort Théâtre, Paris
Du 29 mars au 14 avril 2018
Avec Le Théâtre de la VilleLe Quai, Centre dramatique national d’Angers
Du 19 au 21 avrilThéâtre Les Treize Arches, Scène conventionnée de Brive-La-Gaillarde
Les 26 et 27 avrilLe Théâtre, Scène nationale d’Orléans
Le 24 mai
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