La tempête gronde sur la côte normande. La pluie froide vient frapper sauvagement la grande baie vitrée d’un hôtel bourgeois d’une station balnéaire. La nuit est agitée. Le climat est propice au huis clos, au drame. Anne Kessler qui met en scène « Les naufragés » crée d’entrée une ambiance, une atmosphère à la « Agatha Christie ». Au cinéma les maitres du genre sont Claude Chabrol et Pascal Thomas. Anne Kessler introduit ce genre au théâtre. La tension chez les personnages s’installe dès les premières minutes. Certains y verront une mise en scène bourgeoise et convenue, elle est au contraire léchée et très séquencée, proche d’un découpage cinématographique.
« Les naufragés » nous plonge dans le milieu de l’art. Golz (Eric Génovèse) est un marchand, il vient en Normandie accompagné d’un commissaire-priseur (Laurent Natrella) pour vendre une partie de sa collection, celle du peintre Sismus qu’il a découvert quelques années auparavant. Un journaliste américain (Alexandre Steiger) vient couvrir la vente pour son journal. Au large un bateau sombre. La femme du commissaire-priseur (Marie-Sophie Ferdane) sombre elle dans l’alcool. « Tu as vu comme mes épaules s’arrondissent ces derniers temps…je ressemble de plus en plus à une bouteille… ». Et puis tout va basculer pour ces personnages comme dans les meilleurs romans noirs.
Guy Zilberstein a écrit un polar. « Les Naufragés est certainement la pièce plus noire que j’ai écrite et la plus noire que j’écrirai jamais, parce que la réalité y est plus présente que l’imaginaire ». Une pièce qui se relit d’ailleurs comme un roman, tant la langue est fouillée, travaillée, un texte d’érudit. Il pose la question de la vacuité de l’art, du rapport du marchand avec son artiste. A qui appartient une œuvre : à son auteur, à son marchand, à son public ? Golz le marchand des « Naufragés » est perfide, cruel. « Quand j’ai su que Sismus était fini, je l’ai aiguillé sur une voie de garage, pour qu’il puisse continuer à vivre. Il fallait enterrer dignement l’artiste mort et faire naitre le faiseur. Accoucheur et fossoyeur, voilà ce qu’est un marchand de tableaux. » fait dire Guy Zilberstein à son personnage. Ces dernières années le marché de l’art a connu des proportions indigentes. Des œuvres monumentales proches du design se vendent des millions de dollars. Les œuvres de Damien Hisrt ou de Jeff Koons atteignent des records. Golz fait parti de cette démarche. On est loin du début du 20ème siècle, de l’époque où les marchands prenaient des risques et participaient à la naissance de courants artistiques. Le plus célèbre des marchands du 20ème, l’allemand Daniel-Henry Kahnweiler est aux antipodes de Golz. Dans son livre « Souvenir d’un marchand de tableau, Ambroise Vollard (autre marchand célèbre) rapporte les propos du découvreur de Picasso. « Je suis gêné du certificat de « générosité » dans les rapports d’un marchand avec un artiste, c’est un peu, il me semble, comme si on disait qu’en acquérant un terrain où il croit trouver de l’or, l’acheteur montre de la générosité envers le vendeur du terrain ».
Cette pièce « polar » nous permet d’admirer le jeu d’Eric Génovèse. Rarement distribué ces dernières saisons à la Comédie Française, (il consacre son temps entre théâtre et opéra), Eric Génovèse incarne un marchand d’art parvenu, antipathique. Son jeu est jouissif, on pense à Pierre Brasseur qui aurait endossé la plastique de Johnny Deep. Golz, le marchand, lui aussi va sombrer dans ce naufrage. A la fin du spectacle le rideau tombe sur une toile peinte d’Anne Kessler. On pense aux expressionnistes allemands, à Kirchner, à Dix, à Nolde…
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Le texte de la pièce est publié dans la Collection des quatre-vents contemporain – avant scène théâtre.
Les Naufragés de Guy ZilbersteinMis en scène d’Anne Kessler
Avec Éric Génovèse, Golz, galeriste
Françoise Gillard, Claire, amie de Tom Weissehlmann
Laurent Natrella, Lansac, commissaire-priseur
Gregory Gadebois, Lucas, le barman
Marie-Sophie Ferdane, Léa, madame Lansac
Et Alexandre Steiger, Tom Weissehlmann, journaliste à Art news
Scénographie, Yves Bernard
Lumière, Arnaud Jung
Costumes, Jeanne Labib-Lamour
Musique originale, Alexandre Steiger et Bruno Coulais
Maquillages, Véronique Nguyen
Assistante à la mise en scène, Camilla Bouchet
Assistant à la lumière, Emmanuel Ferreira Dos Reis
Pour la première fois à la Comédie-Française.
Avec le soutien de la Fondation Jacques Toja pour le Théâtre.
Texte publié à L’avant-scène théâtre dans la Collection des quatre-vents.
du 24 mars au 30 avril 2010
Durée: 1h40
Représentations au Théâtre du Vieux-Colombier :
mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h, dimanche à 16h, relâche lundi
Prix des places : de 8 € à 28 €
Renseignements et réservation : au guichet du théâtre du mardi au samedi de 11h à 18h, dimanche et lundi de 13h à 18h, par téléphone au 01 44 39 87 00/01, sur le site Internet www.comedie-francaise.fr
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