Nouvellement piloté par Nadège Prugnard, le festival des Invites revient à Villeurbanne du 19 au 22 juin 2024 avec 100 représentations de 42 compagnies. Et un propos engagé affirmé qui ne craint pas d’être prononcé en pleine rue. Bien au contraire.
Le maire de Villeurbanne, Cédric Van Styvendael l’a dit lui-même lors de la conférence de presse : « c’est une édition charnière » et « un double pari : faire la fête sans cacher les messages des Invites sur les conflits et la société ».
Voici donc le retour de ce festival, émanation d’une fête de la ville qui s’est d’abord nommée les Eclanovas (dès 1989) et qui est porté par les Ateliers Frappaz labellisé CNAREP en 2013. L’été dernier, pour la première fois, une artiste a été nommée à la direction d’un tel lieu. Nadège Prugnard, qui a pris ses fonctions en janvier, s’empare donc de cet événement incontournable à Villeurbanne avec l’objectif de « le faire rayonner autrement, de le revitaliser. Les propositions artistiques sont très reliées à l’actualité et aux questions qu’on se pose aujourd’hui dans l’espace public »
Dans une ville qui vit au rythme des travaux d’une nouvelle ligne de tramway, le festival se décentre des Gratte-ciel pour investir des quartiers plus fragiles, notamment le Tonkin, l’Autre Soie (salle de La Rayonne) à la lisière de Vaulx-en-Velin, des bars, le parking d’un supermarché… Le festival se déploie partout car, rappelle Nadège Prugnard citant le comédien François Château, « la démocratie est toujours en chantier et le théâtre est là pour le rappeler ». Et qu’il faut « irriguer toute la ville pour toucher des publics différents » complète-t-elle.
C’est ainsi que seront investis les bars pour plusieurs rendez-vous de « comptoir des vivants » avec Guy Alloucherie, Julie Pichavant et même Eugène Durif dont le texte « Tonkin-Alger » est pris en charge par des élèves de théâtre. Ce qui a été joué en salle va s’installer dans la rue comme le très fou et drôle spectacle d’Ahmed Tobasi And here I am. Le spectacle, porté par le festival Sens interdits, poursuit vaille que vaille son existence et entame une vie en rue ici avant d’aller cet été à Aurillac. Le Palestinien de Jénine navigue entre son Freedom Theater et l’Europe pour raconter son parcours vertigineux (soldat, prisonnier, comédien) intrinsèquement lié aux absurdités et tragédies de la guerre. À Vidy-Lausanne, début juin, il disait encore, lors des Rencontres artistiques pour la Palestine, à quel point sa vie comme celle de ses compatriotes est constamment en danger dans les rues de sa ville perpétuellement sillonnée par des chars et contrôlée par des drones, une « ville où il n’y a pas la place pour que les enfants aient des aires de jeu ». C’est dire l’importance de faire pratiquer le théâtre, comme une évasion en Cisjordanie et à ce que soit « représenter » ce spectacle, plus encore qu’entendu, pour dire l’existence de ces artistes, « leur façon de fabriquer des formes, de les habiter, de transformer et d’organiser la rage et la détresse des œuvres » analysait le professeur à l’ENS Olivier Neveux dans le n° d’hiver 2023 de la revue Théâtre(s).
C’est aussi les voix des artistes béninoises Nathalie Houvno Yekpe, Mireille Gandebagni et Cécile Avougnlankou qui résonnent aux Invites pour réhabiliter la négritude et tenter de contrer la puissance du patriarcat à travers des histoires très contemporaines voire autobiographiques – chacun des textes est mis en espace par des metteuses en scène différentes. Nadège Prugnard fait ainsi, avec volontarisme, place aux écritures et aussi aux femmes : cette édition est paritaire pour la première fois. Et plusieurs tables rondes sur cette question ont lieu au cours de ces quatre jours. D’autres concernent la censure, la grande histoire des arts de la rue. « Il faut remettre de la réflexion active en espace public car ça manque » dit la directrice.
Les artistes de la région ne sont pas oubliés avec la compagnie des 3 points de suspension de Nicolas Chapoulier, Kader Attou ou le texte sur le travail de Carole Thibaut sur le texte de la néerlandaise Magne Van Den Berg, « Long développement d’un bref entretien ». Ni le jeune public avec notamment « La prise de la pastille » de Moïse Bernier ou « Broglii » de François Chevallier d’après une BD de Lewis Trondheim. Rien moins que Karelle Prugnaud, André Minvielle, Olivier de Sagazan, Zora Snake sont aussi de la partie. Ainsi que Dieudonné Niangouna qui, comme Ahmed Tobasi, passe de la salle à la rue et décloisonne sa discipline.
La musique est partout et pas « seulement » lors des trois soirs de concert au parc des Droits-de-l’Homme. Par exemple, Christian Olivier (chanteur-auteur des Têtes raides) a été convié pour un évoquer la poésie russe de 1917. Pour clore les festivités : « Place des anges » de Pierrot Bidou et Stéphane Girard déversent une tonne de plumes sur le quartier des Gratte-ciel, érigé il y a 80 ans. C’était alors une folle utopie du maire médecin hygiéniste de la ville ouvrière Lazare Goujon qui souhaitait ardemment que le confort soit l’affaire de tous et non de quelques privilégiés. Il en va de même avec ce festival populaire et participatif (plus de 400 habitants sont partie prenante de l’événement), qui fait la promesse de ne pas renoncer à l’exigence artistique, la création (13 spectacles sont pour la première fois ici) et l’international (9 pays invités).
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Festival Les Invites de Villeurbanne
Du 19 au 22 juin 2024
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