À l’Opéra national de Nancy-Lorraine, avant le Festival d’Avignon, Samuel Achache présente sa mise en scène d’une nouvelle production composée à au moins huit mains. Une évocation plutôt anecdotique de la vie et de la mort.
À l’occasion de nombreuses productions marquantes signées en tandem avec Jeanne Candel ou en solo, avec le collectif La Vie brève, puis avec son ensemble, La Sourde, le comédien et metteur en scène Samuel Achache a su bien rafraîchir et dynamiser le théâtre musical. Le chant et la musique ont toujours trouvé une place prédominante dans l’univers scénique de sa joyeuse bande d’artistes multi-casquettes et hyper complices. Ensemble, ils se sont distingués avec les singulières revisites de titres baroques tels que Didon et Énée de Henry Purcell (Le Crocodile trompeur) ou l’Orfeo de Monteverdi (Je suis mort en Arcadie), mais aussi de répertoires plus intimistes et confidentiels comme celui de la renaissance anglaise qui a donné naissance à Songs, réalisé avec le musicien Sébastien Daucé, l’ensemble Correspondances et Lucile Richardot. Teintées à la fois d’une grâce imaginative et d’une audacieuse liberté, ces pièces témoignent surtout du savant génie et de la plasticité avec lesquels ces artistes manipulent les styles et les genres. Dans son nouveau spectacle, Samuel Achache va encore plus loin puisqu’il se frotte plus que jamais à une forme vraiment opératique. Les Incrédules s’est longuement élaboré dans le cadre de NOX, le laboratoire dédié aux formes lyriques nouvelles de l’Opéra de Nancy-Lorraine.
Dans la continuité de La Symphonie tombée du ciel, Les Incrédules met au cœur de son propos la notion peu tangible de miracle. Malgré un travail de dramaturgie à l’évidence très conséquent, on regrette de découvrir un ensemble trop verbeux et filandreux plutôt que des nouvelles trouvailles reflétant l’univers doux dingue auquel Samuel Achache et ses compères nous avaient habitués. Est-ce le passage à l’opéra qui a causé l’excès de sérieux affiché et l’apparente altération d’un esprit pourtant toujours inventif, détonant, déjanté, d’un humour un peu absurde, un peu burlesque, qui se trouve ici bien plus discret que dans les réjouissants titres déjà cités comme dans Fugue et Sans tambour présentés l’un et l’autre au Festival d’Avignon ? Les Incrédules leur emboite le pas puisque ses nombreux artistes – pas moins de 52 musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Nancy-Lorraine – s’installeront cet été sur scène et dans la fosse de l’Opéra Grand Avignon, sous la direction du chef Nicolas Chesneau. Il est à espérer que le spectacle y passe pour moins affreusement long et ennuyeux avec ses jeux poussifs, un brin pédants, d’intertextualité, mis au service d’un propos pour le moins délité.
Cela commence de façon insensée par le coup de téléphone reçu par une jeune femme, paléobiologiste de profession et donc habituée à tenter d’élucider des phénomènes hasardeux, qui apprend la mort accidentelle de sa mère alors que celle-ci vient lui rendre visite au même moment. Placée sous les signes de l’étrangeté et de la déréalisation, la pièce met en scène chaque personnage dédoublé par une comédienne et une chanteuse lyrique (la soprano Jeanne Mendoche / Sarah Le Picard pour la fille, la mezzo Majdouline Zerari / Margot Alexandre pour la mère), dont les voix s’additionnent, se superposent pour discourir sur la difficulté des rapports affectifs mère / fille. Elles prennent place dans un lieu là aussi incertain et continuellement mouvant. Des panneaux coulissent à vue pour transformer, ouvrir ou resserrer l’espace défraichi qui figure un salon, un laboratoire, et surtout une église pour une scène phare où apparaît le visage du Christ sur des murs qui transpirent et suintent au moyen d’un bel effet scénographique qui rappelle Romeo Castellucci. Le passage donne lieu à un furieux chœur de curés débridés, emportés par le bandonéon de Sébastien Innocenti et la batterie de Thibault Perriard. L’acteur actionne aussi le « miraclophone », un instrument qu’il a spécialement inventé et qui s’impose comme une étrange machine en métal contenant des cordes tendues et des balanciers.
Cette création contemporaine, et surtout collaborative, compte pas moins de quatre signataires : Samuel Achache et Sarah Le Picard pour le livret, Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang pour la musique (orchestrée par Pierre-Antoine Badaroux). Mais ce sont bien toutes les forces vives en présence qui prennent part au processus de création du spectacle dans un mouvement permanent d’aller-retour entre la table et le plateau. Ce mode de fonctionnement permet d’ouvrir de multiples voies, de compiler beaucoup de matière, au risque de partir dans toutes les directions sans en creuser suffisamment aucune. Quand le baryton René Ramos Premier chante l’histoire d’un besogneux tisserand qui rapièce et remaille un tapis qui ne cesse de s’effilocher, le motif s’offre comme une parabole de l’état d’un monde qui se défait, mais figure aussi, et sans doute malgré lui, la pièce elle-même dont les nœuds ne parviennent à consolider son aspect composite et décousu.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les Incrédules
Livret Samuel Achache, Sarah Le Picard, en collaboration avec Margot Alexandre, Thibault Perriard, Julien Vella
Musique Florent Hubert, Antonin-Tri Hoang
Orchestration Pierre-Antoine Badaroux
Direction musicale Nicolas Chesneau
Assistanat à la direction musicale William Le Sage
Mise en scène Samuel Achache
Avec Jeanne Mendoche, Majdouline Zerari, René Ramos Premier, Margot Alexandre, Sarah Le Picard, Marie Lambert (violon), Pierre Fourcade (violoncelle), Antonin-Tri Hoang (clarinettes, saxophone), Sébastien Innocenti (accordéon, bandonéon), Thibault Perriard (percussions, guitare)
Orchestre national de Nancy-Lorraine
Assistanat à la mise en scène Chloé Kobuta
Dramaturgie Julien Vella
Costumes Pauline Kieffer
Scénographie Lisa Navarro
Lumières César Godefroy
Conception du miraclophone Thibault Perriard
Ingénieur du son Julien AléonardProduction Opéra national de Nancy-Lorraine
Coproduction Opéra national du RhinDurée : 2h
Opéra national de Nancy-Lorraine
du 18 au 24 juin 2025Festival d’Avignon, Opéra Grand Avignon
du 22 au 25 juillet, à 17h
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