Les Deux frères et les Lions, la pièce de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre sera reprise à partir du 8 janvier 2019 au Poche-Montparnasse. Ce succès théâtral fera l’objet d’un procès le 13 mai devant le Tribunal de Grande Instance de Caen. L’un des deux frères Barclay, dont s’est inspiré l’auteur et metteur en scène pour écrire sa fiction a porté l’action en justice pour atteinte à la vie privée. L’auteur est au banc des accusés, tout comme sa compagnie – Théâtre Irruptionnel, le Poche-Montparnasse, l’éditeur – l’Avant-Scène et le tourneur du spectacle – Atelier Théâtre Actuel. Ce sera le procès de la liberté de la création théâtrale.
En écrivant Les Deux frères et les Lions, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre ne s’attendait pas à un tel succès public. La pièce créée au Trident, Scène Nationale de Cherbourg en 2012 a été jouée plus de 250 fois, dont à Avignon dans le Off, et déjà une première fois au Poche-Montparnasse. Mais Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre ne s’attendait pas nous plus à être traduit en justice par l’un des deux frères Barclay dont il s’est inspiré pour écrire sa fiction.
Dans Les Deux frères et les Lions, il dresse le portrait de deux frères jumeaux issus d’un milieu pauvre qui vont devenir à la fin du XXe siècle l’une des plus grosses fortunes de Grande-Bretagne. Il s’est librement inspiré du destin des frères Barclay. La pièce est un conte qui répond à une commande d’écriture du Trident – scène nationale de Cherbourg. Le projet initial était de faire découvrir au grand public le droit normand qui a subsisté dans certaines îles anglo-normandes jusqu’au début du XXIème siècle. Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre a mené un travail d’enquête, il rencontre Sophie Poirey, maître de conférences en droit normand à l’université de Caen puis voyage sur les îles anglo-normande. De fil en aiguille il écrit cette fable, celle de deux hommes partis de rien, anoblis par la Reine, et aujourd’hui propriétaires entre autres du Ritz à Londres et du Daily Telegraph.
En 1993, David Barclay et Frederick Barclay achètent la petite île de Brecqhou, une dépendance de Sercq, où ils se sont fait construire un château de style néo-gothique. Brecqhou est une île privée, très surveillée et son accès au public n’est pas autorisé. Les deux milliardaires influent sur la vie de l’île et de ses habitants et engagent des procédures devant les tribunaux britanniques et européens pour que soit modifié le régime féodal trop génant pour leurs affaires. Mais ils se heurtent à l’hostilité d’une grande partie de la population locale. En décembre 2008, la première élection démocratique sur l’île, qu’ils ont provoquée, leur est largement défavorable. Mais les frères Barclay ne lâchent rien, et le procès intenté contre Les Deux frères et les Lions en est le reflet.
« L’attaque a été particulièrement violente : interdiction de la pièce, fin de la commercialisation du texte, dommages et intérêt à hauteur de 100 000 €. Pour une petite troupe comme la nôtre, ces demandes sont extrêmement inquiétantes » nous a expliqué Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre. « On veut nous faire taire. Mais la pièce est une œuvre de fiction. Je me suis inspiré de personnages réels, tout est inventé. C’est d’ailleurs ce qui a touché le public » poursuit Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre. « Il s’est servi de son imagination pour combler les vides » explique Charlette Rondelez, la metteuse en scène et co directrice du Poche-Montparnasse. « Car c’est le processus de la « sucess story » qui est intéressant dans la pièce, plus que les personnages eux-mêmes. »
La liberté d’expression est en jeu avec ce procès qui touche pour la première fois en France, non seulement un auteur mais aussi toute la production, de l’éditeur au tourneur. L’assignation en justice n’a pas fait reculer le Poche Montparnasse, le théâtre de Philippe Tesson, qui a décidé de maintenir le spectacle à l’affiche à partir du 8 janvier 2019. « La pièce a été un des gros succès du Poche-Montparnasse depuis sa création réouverture en 2013. » explique Charlotte Rondelez. « Cette fable permet de tracer toutes les forces du capitalisme et de l’ultra-libéralisme, elle démontre la force de ces systèmes. Et on voit avec ce procès, à quel point ces deux hommes sont forts, ils s’immiscent dans toutes les failles. » Après le succès de la première exploitation au Poche, les services juridiques de la galaxie Barclay se sont rapprochés du théâtre. Pour faire pression, pour intimider. Mais la direction du Poche-Montparnasse n’a pas cédé. « On est protégé par le droit à la satire en France » poursuit Charlotte Rondelez. Un acte salué par Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre. « Il ne faut pas lâcher » martèle l’auteur, qui a prévu pendant la nouvelle exploitation du spectacle d’engager tous les soirs le débat avec les spectateurs. Avant de défendre sa position à la barre en mai au TGI de Caen.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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