Pour rendre partageable la mort d’un ami, Jean-Michel Rabeux opte dans Les Derniers Jours pour une forme de cabaret. Une belle idée qui pâtit d’une obsession de la distance et de la légèreté.
Sous un mobile de plumes qui donne d’emblée le ton que Jean-Michel Rabeux a voulu donner à ses Derniers Jours, son actrice fétiche Claude Degliame nous met en garde : les personnages de la pièce ont beau être inspirés de personnes réelles, ils n’en portent pas les prénoms. « On a décidé que je m’appelle Pénélope… L’épouse qui aime plus que le temps ne passe. Que mon époux… qui meurt… se meurt… s’appelle Lear », dit-elle dans une succession de graves et d’aigus, de ruptures inattendues dont elle a le secret. Elle place ainsi le spectacle dans la continuité d’Aglaé qu’elle interprétait seule en scène. Discrétion oblige, le prénom éponyme – « beauté, éclat », en grec ancien – n’était pas non plus celui de la femme dont le metteur en scène avait recueilli la parole : une prostituée qui racontait sa vie de passes, de trottoirs. Dans sa nouvelle création, Jean-Michel Rabeux poursuit son exploration des frontières entre réel et théâtre pour faire entendre des paroles peu audibles dans nos sociétés. Avec hélas moins de grâce que dans son spectacle précédent.
« L’anonymat… c’est… pour aider les vivants… survivants… un peu… Les faux noms c’est pour ça… préserver les vivants. Et aussi… aussi, pour… pour déconner, bien sûr. Pour jouer… oui… de la mort… s’en jouer », poursuit la comédienne. Récurrente tout au long du spectacle, cette insistance sur les conventions théâtrales produit l’effet inverse de la légèreté prônée par les interprètes. On comprend vite l’origine de cette obsession de la distance : la mort dont parle Jean-Michel Rabeux dans Les Derniers Jours est celle d’un ami proche. « J’ai écrit ces mots-là chez mon ami, pendant son agonie. Ce sont mes mots, mais aussi les siens, ou ceux de sa femme, ceux du croque mort, de l’aide-soignante, des médecins », lit-on sur la feuille de salle. En optant pour une forme proche du cabaret, le metteur en scène évite souvent le pathos dont on sent qu’il a la hantise. Mais il peine à donner à entendre la singularité des témoignages qu’il offre en partage, leur mélange de grande peine et de force. Leur humanité.
Accompagnés d’un étrange majordome à plumeau (Georges Edmont) et de Juliette Flipo à la harpe et au chant, trois comédiens évoquent la longue agonie d’un prénommé Lear – « Oui bon, ça vaut ce que ça vaut, ces noms, là… je suis pas sûr que Jean-Michel a eu raison de… mais bon, c’est l’auteur », dit l’un d’eux. À commencer par Olav Benestvedt, qui avec sa présence fantaisiste, presque dansante, fait un mourant formidable, surréaliste. Il forme avec Claude Degliame un duo aussi improbable que délicieux. Lorsque, chacun à sa manière, ils entreprennent de décrire le déclin physique et mental du sujet concerné, ils atteignent régulièrement à une forme de joie entièrement liée au théâtre, qui n’enlève rien à la douleur racontée. Au contraire, car au lieu de la donner à voir, elle la donne à imaginer. C’est moins le cas de Yann Métivier, qui endosse le rôle de l’ami de Lear, double fictionnel de Jean-Michel Rabeux. Dans un registre plus réaliste que les deux autres, il appuie avec exagération le geste de mise en abîme du metteur en scène. Les plumes ne font pas le poids.
On regrette la belle simplicité d’Aglaé, qui n’avait guère besoin de musique ni de danses pour offrir en partage une parole marginale. Les Derniers Jours emprunte à trop de disciplines, il multiplie trop les registres de récit pour dire quelque chose de précis et puissant sur la mort. La sensation de ne voir celle-ci que de loin, derrière toutes sortes de filtres esthétiques, ne s’efface qu’à de rares occasions, quand Claude Degliame et Olav Benestvedt font toute confiance au théâtre. On perçoit alors combien ces Derniers Jours plutôt confus et chargés auraient pu être clairs et touchants.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Les derniers jours de Jean-Michel Rabeux
Distribution Olav Benestvedt, Claude Degliame, Georges Edmont, Juliette Flipo, Yann Métivier • Lumières Jean-Claude Fonkenel • Assistanat à la mise en scène Sophie Rousseau • Production déléguée La Compagnie • Coproduction La Compagnie, Théâtre des Îlets – Centre dramatique national de Montluçon – Région AuvergneDurée: 1h30
Création les 12, 13 et 14 novembre 2019 au Théâtre des Ilets-CDN de Montluçon
Au Théâtre du Rond-Point du 25 février au 22 mars 2020
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