La Compagnie Grenade déploie toute sa palette d’interprétation au contact de chorégraphes venus d’horizons variés. Quatre portions de danse qui offrent un aperçu de la diversité des écritures chorégraphiques contemporaines et mettent en lumière une troupe remarquable sous la houlette de Josette Baïz.
C’est un programme chorégraphique éclectique qui déroule ses styles, ses humeurs et sa diversité gestuelle lors d’une soirée en quatre actes. Quatre courtes propositions dansées qui tiennent en 1h15, entrecoupées ou plutôt liées par des intermèdes cocasses pris en charge par les interprètes eux-mêmes. Tout comme le message de recommandations d’usage en préambule est assuré par une danseuse qui rejoint ensuite les coulisses pour se préparer à entrer en scène. La Compagnie Grenade dirigée par Josette Baïz existe depuis un peu plus de 25 ans et a la particularité de former enfants et adolescents à la richesse de la danse contemporaine, de créer avec eux des spectacles exigeants et vivifiants, de varier les genres et les disciplines en faisant appel à des chorégraphes extérieurs afin de cultiver en son sein esprit de troupe et d’ouverture.
Ces enfants devenus grands forment aujourd’hui le terreau de danseurs et danseuses aguerris de la compagnie. Ce sont eux qui portent ici avec panache ce medley chorégraphique regroupé sous un titre expressif : Antipodes. Ou comment une dizaine d’interprètes identiques se glissent dans la gestuelle singulière de différents chorégraphes, dont l’approche du mouvement est antithétique. Il s’agit en effet d’explorer la diversité des écritures chorégraphiques actuelles sous forme d’échantillons. Quatre petites portions signées Kader Attou, Iván Pérez, Claire Laureau et Nicolas Chaigneau, Maxime Bordessoules et Rémy Rodriguez.
Kader Attou ouvre le bal avec un ancien spectacle, The Roots, créé pour sa compagnie Accrorap en 2013. On retrouve avec une joie profonde la subtilité de sa gestuelle hip-hop, tout en douceur et fluidité. Un fauteuil à cour, bancal et penché, pour unique décor sur un morceau de piano. Un jeune homme d’une grâce folle y danse assis avant de se déplier et de se lever progressivement au rythme de la musique qui accélère. Debout, il est rejoint par d’autres, et le mouvement enfle au fur et à mesure que gonfle la bande sonore tout en sons saturés. Les mouvements sont aussi amples qu’ils sont suspendus, en apesanteur, filant dans un flot continu parcouru de brisures. Il y a quelque chose de profondément humble dans le hip-hop de Kader Attou, jamais démonstratif et pourtant virtuose. La danse parcourt les corps comme une onde qui les rassemble, une vibration qui active chacun.e au cœur de l’ensemble. Et lorsqu’un trio se noue et se dénoue autour du fauteuil devenu pivot, c’est une autre pièce qui nous revient spontanément en tête, comme un écho lointain, une création du temps des premiers pas d’Angelin Preljocaj, Un Trait d’union, duo datant de 1989. Et ce solo de mains qui tracent leur voie dans l’espace pour raconter une histoire muette, comme une langue des signes imaginaire, nous rappelle ô combien la gestuelle de Kader Attou, toute en vagues, se déploie jusqu’au bout des doigts.
Après un intermède comique où les interprètes simulent un bord plateau avec le public, fait de questions fantômes et de réponses en playback, on enchaîne avec la suite, un extrait du très beau Young Men d’Iván Pérez. Sur une musique sombre et mélancolique, c’est une chorégraphie de lutte et de combats qui explore l’oppression et la soumission dans des courses et des glissés au sol. Sur le thème de la Première Guerre mondiale, le spectacle devient aujourd’hui une métaphore saisissante des guerres qui nous entourent. Arrêts sur image, scènes de torture, lumières latérales crépusculaires et rideau de fumée en fond de scène, la gestuelle se fait guerrière, l’ambiance est lourde, la danse se densifie, tout en éclats saillants, tandis que la bande-son emporte tout, conduit l’émotion jusqu’au face-à-face avec notre insoutenable capacité d’humiliation. Les corps expient des cris, cet homme presque nu au corps comme démembré, exposé dans toute sa vulnérabilité, nous rappelle certaines « physicalités » vues chez Alain Platel (notamment dans Out of context – For Pina). Corps écartelés, corps rampants, les corps sont ici aux prises avec l’endurance et la souffrance, sublimés par la danse.
Après un tel déferlement de sensations fortes, la suite nous semble un peu fade, mais elle appelle à être développée et a le mérite de briser l’atmosphère précédente d’un coup sec. Avec La Petite Dernière sur une musique de Bach, trois interprètes se lancent dans une danse minimaliste et ludique accordée aux notes du piano. Imaginée par Claire Laureau et Nicolas Chaigneau à la tête de la Compagnie pjpp, cette parenthèse offre une respiration primesautière, d’une légèreté amusante et décalée qui nous laisse cependant sur notre faim. À suivre donc…
Puis, c’est au tour de Maxime Bordessoules et Rémy Rodriguez du collectif Les Filles de Mnémosyne de proposer leur univers chorégraphique trempé dans le voguing et l’ambiance clubbing, sur fond de défilé de mode aussi dégenré que décomplexé. Avec -SIAS, place aux corps érotisés, à l’empowerment par le mouvement. Dans une esthétique de vidéo-clip, sous une lumière crue, puis rouge, sur une musique électro technoïde entraînante, les corps se libèrent, exultent et colonisent le dancefloor. Pour une séquence finale où la joie de danser emporte tout sur son passage, y compris le public, debout et conquis.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Antipodes
Direction artistique Josette Baïz
Chorégraphies Kader Attou, Claire Laureau et Nicolas Chaigneau, Iván Pérez, Maxime Bordessoules, Rémy Rodriguez
Avec Maxime Bordessoules, Camille Cortez, Lola Cougard, Sarah Kowalski, Yam Omer, Geoffrey Piberne, Victoria Pignato, Rémy Rodriguez, Chloé Deplano, Ojan Sadat Kyaee
Adaptation, création lumières, régie générale Erwann Collet
Régie son Jérémie BeninProduction Groupe et Cie Grenade – Josette Baïz
Coproduction Grand Théâtre de Provence
Avec le soutien de Klap : Maison pour la danse MarseilleL’association Groupe et Compagnie Grenade – Josette Baïz est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC PACA. Elle est subventionnée par le Conseil Régional Région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Sous-Préfecture des Bouches-du-Rhône, le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône, la Métropole Aix-Marseille Provence, la Ville d’Aix-en-Provence et la Ville de Marseille. Elle est membre-fondateur de Provence Culture, réseau d’excellence.
Durée : 1h15
À partir de 10 ansChaillot Théâtre national de la Danse, Paris
du 18 au 21 décembre 2024Théâtre La Chaudronnerie, La Ciotat
le 18 janvier 2025La Rampe, Échirolles
le 4 févrierLe Polaris, Corbas
le 7 février
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