Comme tous les artistes, les circassiens sont à l’arrêt depuis le début du confinement. Le jongleur Jérôme Thomas, directeur artistique de la Cie ARMO-Jérôme Thomas profite de ce moment pour engager une réflexion sur Les Cirques-fixes du nouveau monde. Voici sa tribune.
« La crise sanitaire que nous traversons aujourd’hui est sans précédent, elle indique la fin d’un paradigme économique basé sur l’économie de marché. Elle emporte le monde dans une sur-consommation des biens et des ressources de la planète, une surproductivité néfaste à la santé publique et à l’humanité tout entière. Une prise de conscience planétaire s’invente petit à petit. La sécheresse est déjà d’actualité pour ce printemps en France. L’Australie n’est pas sortie de l’hécatombe dévastatrice des feux de forêts de cet été que déjà elle se retrouve à gérer la crise du coronavirus. Partout, les signes sont là, et nous devons les considérer. Nous devons être d’accord sur l’urgence climatique. « crise existentielle salutaire» Comme le dirait Edgar Morin…
Après l’intendance et la gestion de la crise en notre secteur, qui sera longue dans le temps et terrible pour les artistes et la préservation de leurs outils que sont la création et la diffusion, il est important il me semble d’imaginer les perspectives à envisager pour l’avenir du cirque en France. Je crois sincèrement que le modèle économique fondé sur les tournées des spectacles avec cirque en toile et remorques, camions,
tracteurs, pneus, et chauffage au fuel ne font plus trop rêver tant ce modèle est énergivore et plutôt polluant.
Cela ne veut pas dire que je préconise l’arrêt brutal mais je nous invite à penser d’autres possibles. Il devient difficile pour la plupart des artistes de cirque de s’accorder avec le secteur culturel aujourd’hui mené essentiellement par une politique de gestion basée sur les 3 piliers que sont ; la création, la communication
et la diffusion des spectacles. 3 piliers qui renforcent la marchandisation des objets artistiques comme produits culturels fragilisant immanquablement les artistes et le sens de leurs métiers. Les équipes peuvent de moins en moins finaliser leurs projets, pressurisées, elles s’éloignent du sens et de l’enthousiasme! Elles travaillent souvent à perte et de plus en plus en auto-production. L’offre culturelle est saturée et de ce fait
ultra-concurrentielle. Ils manquent de nouveaux espaces dédiés à tout type de population. Réinvestir la demande et l’implantation des Cirques Fixes peut être une réponse et ainsi apparaître comme de nouveaux traits d’unions entre publics et artistes.
Nous avons en effet nos 7 cirques en dur qui se portent bien. Certains sont fixes tels que le cirque du Docteur Paradis à la Brèche, Pôle national du cirque de Basse Normandie, Cherbourg-Octeville. Autre que la pierre, nos cirques fixes sont faits de bois et de toiles. Les espaces circulaires en durs ou fixes sont intemporels et montrent bien l’engouement pour les écritures contemporaines du répertoire cirque. Ils exaltent les imaginaires, ils deviennent des lieux patrimoniaux au service de l’histoire du cirque renforçant la cohésion des équipes et des salariés qui œuvrent au sein de ses édifices.
Ils confient une identité forte aux collectivités territoriales et partagent ainsi un outil de décentralisation. Nous manquons de lieux hors de Paris. Nous manquons d’outils de pratiques et de création partout ! Nous avons donc tous à œuvrer à l’implantation de nos cirques en fixes, à choisir pour chacun des directions singulières, qu’elles soient dédiées aux transmissions, à la création, à la diffusion et ainsi valider une nouvelle
confiance en la capacité des artistes à dynamiser un territoire. Si des lieux fixes étaient pensés d’avantage sur nos territoires, en zone blanche (mais pas que…), nous ne bougerions alors que les humanités, les échanges, les mutualisations, accueillis en un cirque devenu résilient, écologique et politique. A l’âge de la pierre, les hommes fort du nomadisme, laissaient leurs outils sur place en des sites repérés cela permettait aux suivants de les utiliser sans les transporter eux-même. Poser nos cirques-fixes serait comme mettre à disposition des outils sur place afin de consolider un encrage et un voyage immobile à partager. La présence d’être sur place, pour les autres. Que le local devienne aussi notre « au bout du monde »… »
Jérôme Thomas
Jongleur, directeur artistique de la Cie ARMO-Jérôme Thomas
Le 29 Avril 2020
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