À Chaillot, le turbulent tandem donne naissance à une tribu de félins au caractère bien trempé, mais peine à rendre convaincant le fragile mélange des genres qu’il opère entre comédie musicale et discours politiques.
Marlène Saldana et Jonathan Drillet ne s’attendaient sans doute pas à un tel télescopage. Tandis que quelques centaines de personnes se sont réunies dans plusieurs villes de France, le mardi 7 janvier au soir, pour « fêter » la mort de Jean-Marie Le Pen, les deux artistes présentaient simultanément, au Théâtre national de Chaillot, la première parisienne de leur nouvelle création, Les chats (ou ceux qui frappent et sont frappés). Entre le décès de l’ancien patron du FN et la ménagerie 100% féline imaginée par le turbulent tandem, aucun lien tangible ne pouvait, à première vue, être tissé. À ceci près que cette dizaine de matous hauts en couleur appartiennent tous à une propriétaire unique surnommée « Maman ». Jamais visible, toujours dans l’ombre, elle se fait, malgré tout, brosser le portrait par ses animaux plus ou moins fidèles et finit par ressembler à une Marine Le Pen du futur : fille d’un certain Neuneuille – un vieux mouton acariâtre et raciste qui fait une apparition furtive en criant, notamment, « J’vais te faire courir rouquin, PD » –, ex-maîtresse d’une certaine Artémis tuée par les molosses canins de son père – comme la chatte de la patronne des députés RN il y a quelques années –, participante à une garden-party à Montretout – où les Le Pen ont leur château familial – en compagnie de Lorrain de Saint Affrique, Wallerand de Saint-Just et Jean-Louis Tixier-Vignancourt –, mais aussi déjà installée à l’Élysée avec un certain « Jordan » comme Premier ministre. Sans que le nom de la leader de l’extrême droite française ne soit jamais cité, tous les indices semés çà et là par ces chats à la langue bien pendue conduisent vers elle, et font alors entrer la pièce en résonance avec l’actualité la plus brûlante.
Aussi fortuite soit-elle, cette correspondance symbolise le mélange des genres que Marlène Saldana et Jonathan Drillet, coutumiers des fables animalières – Reflets de France, Castors (puisque tout est fini), Dormir sommeil profond, l’aube d’une Odyssée –, ont tenté d’opérer entre la comédie musicale et les dérèglements du temps présent. Si, aux prémices, les dix chats, qui profitent des costumes aussi précis que chatoyants de Jean Biche, ont l’allure de lointains cousins des créatures de Cats, ils se révèlent rapidement être des animaux savants, dotés, en dépit de leur langage corporel félin – ils miaulent, se lèchent, se font les griffes, régurgitent et patounent –, de la parole et du ton des humains, mais également de leurs convictions politiques, de leurs craintes, de leurs emportements et de leurs connaissances. Au long des chansons que, les uns après les autres, ils interprètent, une majorité d’entre eux dessine les contours d’un monde et d’une société tels qu’ils ne vont plus, gangrénés par les rapports de domination intra et inter-espèces, obsédés par la propriété, en proie à une nouvelle extinction massive, soumis à Amazon et aux algorithmes qui ébranlent, à bas bruit, les conditions du vivre ensemble. Face à eux, certains matous se montrent, de façon tonitruante, plus réactionnaires, partisans des frontières, du forage à tout crin – avec pour refrain le slogan « Drill, baby, drill ! », emprunté aux Républicains américains qui l’avaient utilisé lors de la présidentielle de 2008 –, et se définissent volontiers non comme des « climatosceptiques », mais comme des « climato-réalistes » ou « climato-je-m’en-foutistes ». Comme si les lignes de fractures du genre humain trouvaient un prolongement dans le monde félin.
Fruit d’un travail de documentation croisée qu’on imagine colossal entre, d’un côté, l’univers des comédies musicales – dont ces chats paraissent fans au vu des quelques citations qu’ils font de Cats, A Chorus Line, Les Misérables, et même Mozart, l’opéra rock – et, de l’autre, la pensée d’intellectuel·les de notre temps – à l’image de David Graeber, Donna Haraway, Alain Damasio ou Christophe Galfard, pour ne citer qu’eux –, l’attelage conçu par Marlène Saldana et Jonathan Drillet n’en demeure pas moins fragile, et peine, tant sur le fond que sur la forme, à se montrer pleinement convaincant. Tout se passe comme si, au lieu de s’augmenter, le propos politique et le genre de la comédie musicale s’étaient plombés l’un l’autre, comme si le tandem n’avait pas trouvé le vecteur dramaturgique adéquat, capable de faire tenir ces deux composantes ensemble. Au lieu de profiter du doux délire qu’aurait pu générer cette iconoclaste ménagerie féline, de faire procéder les idées du quotidien de ces chats, de leur vie, de leurs sentiments, les deux artistes les transforment en pantins dépositaires de discours qui semblent avoir été plaqués sur eux et, à force de vouloir trop embrasser, ne font qu’effleurer tous les maux critiques du moment. L’ensemble s’enlise alors dans une logique scénique de petits numéros, comme autant de chansons, qui n’imprime pas un rythme suffisant, et donne une impression de superficialité, et de déjà-entendu, loin de rendre grâce aux recherches préalables du tandem.
Lestés par la composition musicale plus expérimentale qu’entraînante de Laurent Durupt, et malgré le beau décor de visage de chat stylisé, façon Mondrian, réalisé par Théo Mercier, la dizaine de comédiennes et comédiens présents échouent à faire vivre le groupe qu’ils sont contraints de former. Dans des performances plus individuelles que collectives, qui s’enferrent souvent dans une forme de parlé-chanté artistiquement décevante, ils ne paraissent pas avoir suffisamment de situations de jeu et de grain à moudre pour donner une profondeur aux animaux qu’ils incarnent. S’ils ne déméritent jamais dans le mimétisme comportemental qu’ils adoptent, et qui, à y regarder de plus près, s’avère parfois cocasse, s’ils offrent une singularité aux différents chats qui brillent par leur hétéroclisme et leurs personnalités bien trempées grâce à la précision d’écriture de Marlène Saldana et Jonathan Drillet, ils souffrent d’un étonnant manque d’allant et d’énergie – paradoxal au vu de leur engagement sans faille – qui empêche le spectacle de décoller et de dépasser le stade d’un enchevêtrement d’idées aux chevilles bien visibles. Ni utopiques ni dystopiques, ces chats semblent alors avoir été simplement contaminés par une inquiétude sombre et « frappés » par un mal de vivre. Ceux-là mêmes qui, au vu de l’état du monde et du tissu social, concernent de plus en plus d’humains.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les chats (ou ceux qui frappent et sont frappés)
de Marlène Saldana et Jonathan Drillet
Créé en collaboration avec et interprété par Alina Arshi, Jonathan Drillet, Mai Ishiwata, Christophe Ives, Dalila Khatir, Aurélien Labenne, Mark Lorimer, Guillaume Marie, Marlène Saldana, Stephen Thompson, Charles Tuyizere
Collaboration artistique et assistanat Céline Peychet
Création musicale et clavier Laurent Durupt
Batterie Stan Delannoy
Saxophone Rémi Fox
Shakuhachi Jean-François Lagrost
Contrebasse Raphaël Schwab
Mix Pauline Jan
Scénographie Théo Mercier, assisté de Marius Belmeguenaï et Moustache
Dessin moquette Jérémie Piningre
Construction décor Ateliers de la MC93
Costumes Jean Biche
Assistante costumes et habillage Zoé Lachaud
Mouton et masques Vanessa Riera, assistée d’Elena Sideri
Lumières Lise Blanckaert, Fabrice Ollivier, Yarol Stuber
Son Guillaume Olmeta
Régie son Bertrand Faure
Régie générale Moustache
Régie plateau Adèle Cathala
Régie surtitres Florence Mato
Oeuvres citées dans le spectacle Au commencement était de David Graeber et David Wengrow (Les Liens qui libèrent, 2021) ; Vivre avec le trouble de Donna Haraway (Les Éditions des mondes à faire, 2020) ; Entretien avec un chat de Marcel Broodthaers (extrait de l’oeuvre audio, © succession Marcel Broodthaers) ; et, disséminées ici et là, quelques paroles, idées et autres citations de T.S. Elliot, Alain Damasio, Alan Moore, Christophe Galfard, Pierre Olivier DittmarProduction déléguée The UPSBD, avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès
Coproduction Les Subs – Lieu vivant d’expérience artistique – Lyon ; CCN2- Centre chorégraphique national de Grenoble dans le cadre de l’accueil studio ; Théâtre du Nord – CDN de Lille ; Charleroi Danse ; Mille Plateaux ; CCN La Rochelle dans le cadre du dispositif de l’accueil studio du ministère de la Culture ; CDN de Besançon Franche Comté ; Chaillot – Théâtre National de la danse ; MC2 : Grenoble ; Maison de la danse de Lyon ; Théâtre National de Bretagne –Rennes ; MC93 Maison de la culture de Seine-Saint-Denis à Bobigny
Avec le soutien de l’ADAMI, du dispositif d’insertion de l’École du Nord, financé par le ministère de la Culture et la Région Hauts-de-France, du Prix Tremplin Leenaards / La Manufacture – Lausanne, du CN D, Centre national de la danse, accueil en résidence
Pour ce projet Laurent Durupt a reçu l’aide à l’écriture d’une oeuvre musicale originale de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes
Avec l’aide de la Région Ile-de-France au titre de la créationThe UPSBD est soutenue par le DRAC Ile de France au titre de l’aide au conventionnement
Durée : 1h55
Chaillot – Théâtre national de la Danse, Paris
du 7 au 11 janvier 2025Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale, dans le cadre du festival Transforme
les 17 et 18 janvierMC2: Grenoble, Scène nationale
les 27 et 28 marsMaison de la danse de Lyon, en co-réalisation avec Les Subs, dans le cadre du festival Transforme
les 3 et 4 avrilMC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
du 10 au 12 avrilCharleroi Danse, Bruxelles
le 26 avrilThéâtre National de Bretagne, Rennes, dans le cadre du festival Transforme
les 27 et 28 mai
Insupportable! un ramassis de poncifs , très wok, inintelligent,des fesses à 4 pattes, » je ne suis vivant que quand je chie et pète » etc…partis avant la fin