Trois textes majeurs de Franz Kafka réunis, comme le souhaitait leur auteur, sous le titre Les Châtiments, forment une œuvre lyrique ambitieuse et ardue de Brice Pauset très concentrée sur les climax de l’univers kafkaïen. Dirigée par Emilio Pomarico et mise en scène par David Lescot, l’oeuvre est donnée en création mondiale à l’Opéra de Dijon.
Voulue par Kafka lui-même, la trilogie que forment sur scène la réunion du Verdict, de La Métamorphose et de Dans la colonie pénitentiaire semble avoir répondu aux attentes du compositeur français et très germanophone Brice Pauset alors même qu’il recherchait pour sa dernière création une matière textuelle capable de faire écho à ses propres inquiétudes et interrogations sur l’absence de devenir et l’imminence de la catastrophe dans la société contemporaine où s’exercent quantité de rapports conflictuels et d’autorité abusive.
Alors qu’elles se présentent plutôt courtes, les successives intrigues kafkaïennes sont d’une profonde densité. L’impact du texte se dilue parfois dans le flot de mots chanté sur un mode proche du parlé et sur un rythme souvent rapide pour mieux se rapprocher d’un débit de parole le plus naturel possible. Si l’écriture vocale qui requiert une agile dextérité paraît assez ingrate car peu variée, c’est en revanche avec une solide inspiration et beaucoup d’exactitude que la composition orchestrale de Brice Pauset rend compte de l’atmosphère pleine d’étrangeté, d’anxiété et d’intranquillité propre à Kafka. Écrite pour un colossal ensemble d’envergure brucknerienne comblé de cuivres, de vents et de percussions, la musique déploie de troublants accents sombres et glaçants, offre de turbulentes déflagrations mais sait aussi se contenir, se dépouiller. Elle s’étend sur de vastes nappes sonores qui ménagent de forts points de suspend et des silences subrepticement perturbés par des coups de claquoirs ou de clapets, elle se laisse volontiers heurtée par des stridences ou au contraire de pesants vrombissements. Elle restitue le caractère inconfortable de son propos, surtout dans La Métamorphose, moins étale et plus dramatique que Le Verdict, rendant tout à fait éloquente la menace que représente la transformation de son protagoniste en cloporte géant. Plus volontiers bruyante et bruitiste pour illustrer les rouages d’une machine diabolique et grippée qui demeure finalement le personnage principal de la troisième et dernière pièce, elle fait l’effet d’une chape de plomb qui recouvre la voix peu audible de son interprète par ailleurs excellent mais enlisé dans un monologue explicatif dont on ne voit pas le bout.
Après avoir monté à l’opéra Trois Contes de Gérard Pesson, David Lescot met en scène les trois textes de Kafka qu’il teinte d’abord de couleurs tristes et froides. Sa scénographie, inspirée des intérieurs silencieux et désolés du peintre nordique Hammershoi, reflète un monde petit-bourgeois décati hanté par la solitude et le désespoir puis bousculé par la perte de repère et d’identité. Dans la deuxième partie, les murs, les portes, les parquets et les plafonds ont disparu au profit d’une machine infernale s’apparentant à un théâtre lui-même, une sorte de castelet posé sur des tréteaux de foire et rappelant aussi le cinéma de Chaplin. En assumant une part de simplicité et de littéralité, le travail scénique propose des images lisibles, capables de répondre aux nombreux défis qu’impose la représentation qui appelle autant le réalisme que le fantastique et l’allégorique.
C’est finalement La Métamorphose qui aura le plus convaincu. Placée au cœur du programme, elle s’offre comme la pièce-maîtresse de la soirée. Ici, Allen Boxer sidère en interprète vocalement et physiquement charismatique, arborant une seconde peau de chair en lambeaux constellée de croûtes et de cratères, et se déplaçant en sinueux mouvements reptiliens. La musique, comme la mise en scène, est gagnée par un puissant dramatisme tout en s’autorisant le déploiement d’un humour grinçant. Ironiques et tragiques, les personnages et la situation possèdent le relief et la profondeur attendus pour véritablement bousculer et dire l’absurdité et la fatalité de l’univers kafkaïen.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
LES CHÂTIMENTS de Brice Pauset
MUSIQUE Brice Pauset
LIVRET Franz KafkaOrchestre de Dijon Bourgogne
Choeur de l’Opéra de DijonDIRECTION MUSICALE Emilio Pomarico
ADAPTATION DU LIVRET Stephen Sazio
MISE EN SCÈNE David Lescot
DÉCORS Alwyne De Dardek
COSTUMES Mariane Delayre
MAGIE Abdul AlafrezGEORG / GREGOR / OFFICIER Allen Boxer
LE PÈRE / MONSIEUR SAMSA / LE VOYAGEUR Michael Gniffke
FRIEDA / GRETE Emma Posman
LA MÈRE / MADAME SAMSA Helena Köhne
LE GÉRANT / SOLDAT nn
LE CONDAMNÉ (ACROBATE / COMÉDIEN ) Grégoire LagrangeCRÉATION MONDIALE,
COMMANDE DE L’OPÉRA DE DIJONOpéra de Dijon
2020
Mercredi 12 Février 20h
Vendredi 14 Février 20h
Dimanche 16 Février 15h
Bonjour,
Je suis étudiante en doctorat à l’Université de Bourgogne. Dans le cadre de ma thèse doctorale, je suis en train de conduire une étude sur cette incroyable création de l’Opéra de Dijon.
Donc, si vous avez assisté à cette représentation, je vous invite à répondre au questionnaire envoyé exceptionnellement par l’Opéra de Dijon, vous serez en train de m’aider à finir ma thèse 😉
Votre aide apportée sera fortement appréciée.
Aranzazu Gaztelumendi
Doctorante à l’Université de Bourgogne