Lauréat en 2022 du Festival Premiers Geste(s) dédié à la jeune création en arts du mime et du geste ainsi que prix du Jury Terrain d’Envol au Festival des Clowns, Burlesques et Excentriques du Samovar, Les Beaux Draps est un spectacle de naissance qui explore le corps et ses ressorts avec un humour qui fait mouche. Et révèle Maly Chhum, clown aussi drôle qu’attachante.
Sur scène, une baignoire de draps blancs qui débordent en un cercle de tissus tapissant le sol, annonçant d’autres débordements à venir. Depuis le public, à jardin, Maly Chhum s’avance vers la lumière, à la frontière de la salle et du plateau. « Je sais pas si je vais le faire », nous glisse-t-elle les yeux dans les yeux, à la fois timide et audacieuse. Le lien est enclenché, la complicité nouée. « J’y vais ? Enfin… On y va ». L’entrée en matière de ce solo clownesque d’une tenue dramaturgique remarquable dit l’intermédiaire, le hiatus et la traversée, le jeu entre l’actrice et son rôle, entre la femme et la clown. Entre l’art et la vie aussi. Des premiers rangs à ce lac de draps blancs, il n’y a qu’un pas que la comédienne franchira parfois.
Il est question ici de naissance. Au sens propre et figuré. Naissance d’une clown d’abord. Les Beaux Draps est un premier spectacle et Maly Chhum nous offre en direct sa métamorphose. La première scène, dans la baignoire, est un auto-accouchement. Une artiste qui donne corps et vie à son avatar. Une fois maquillée à coups de grands traits noirs sur fond blanc, débarrassée de sa tunique de ville, chaussettes rouges aux pieds, notre clown ainsi fagotée et décoiffée plonge la tête la première pour remonter à la surface dotée d’un nez. Une clown est née. L’image ainsi fabriquée sous nos yeux se prolonge d’une expulsion par un boyau de tissus. Emmaillottée, cette toute nouvelle créature découvre alors son corps et comment s’en servir. Et son plaisir devient le nôtre.
« Ça, c’est moi ». Le chemin est philosophique quand bien même la parole est encore limitée, à ce stade du spectacle, à un grommellement hilarant. Empêtrée dans ce corps maladroit fait de hauts et de bas, de bosses et… d’un trou, notre clown à peine éclose se déleste d’un amas de fils rouges, boyaux symboliques d’un corps qui fuit, sécrète de la matière organique, suinte et dégouline. Horreur ! C’est sale et répugnant, couleur sang, et ça la suit comme son ombre. S’en débarrasser devient la priorité. Avec trois fois rien, une pelote de laine rouge, un sac poubelle et cette composition textile qui transforme la scénographie en costumes et accessoires, avec une ingéniosité et une virtuosité maximales, Maly Chhum construit un univers, un terrain de jeu où le corps s’exprime, rencontre l’autre, parade, défile et s’emmitoufle.
Et petit à petit, insidieusement, sans qu’on y prête attention au début, la parole s’invite, audible et compréhensible, les phrases arrivent, au compte-goutte, mais à point nommé. Jouant sur les mots avec espièglerie, Maly Chhum crée un art de la métamorphose physique et des correspondances poétiques. Elle (se) tisse, au sens propre, un solo sur-mesure, en évolution permanente, un écrin cocon où son clown peut advenir, s’offrir à nous et grandir. Jusqu’à engendrer un autre que lui, lui aussi dans une scène d’accouchement épique. La boucle se boucle. La traversée effectuée ressemble à nos vies. Éphémères, dérisoires, mais transmissibles. Et si l’on rit tout du long, il pointe de ces Beaux Draps une maturité généreuse, un regard tendre et la naissance d’une belle artiste.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Les Beaux Draps
Écriture, mise en scène et jeu Maly Chhum
Regard dramaturgique Simon Carrot
Régie lumière Adama Thiam
Regard extérieur Sky de SelaCoproduction Groupe Geste(s) ; Théâtre des Bergeries ; La Factory
Soutiens et accueil en résidence Espace Périphérique ; La Cascade ; Théâtre Victor Hugo ; Le Samovar ; Ville de Bagnolet ; Théâtre de la Noue/Les ouvriers de joie ; Corpus Fabrique – Ville Evrard ; Le LieuDurée : 1h10
Vu en mai 2025 au Samovar, Paris
La Factory, Chapelle des Antonins, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
du 6 au 25 juillet, à 19h (les mercredis, vendredis et dimanches)Festival d’Aurillac
du 20 au 23 août
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