Présentée au 11 Avignon dans le cadre du Festival Off, la pièce Iphigénie à Splott de Gary Owen provoque un choc émotionnel, et ce notamment grâce à l’interprétation décapante de Gwendoline Gauthier.
L’espace rectangulaire se délimite comme un ring de boxe, tamisé d’éclairages et nimbé de sons ouatés sur lequel se placent trois musiciens multi-instrumentistes et, au centre, l’actrice sidérante qui incarne une heure et demie durant, Effie, une fille apparemment banale, infortunée, habitant le quartier défavorisé de Cardiff, une fille que d’ordinaire on croise, on côtoie, mais qu’on évite soigneusement de regarder et d’aborder, une fille sur laquelle on n’a pas le temps, ni l’intérêt, de s’apitoyer. Là, face à la salle, sans aucun fard, simplement habillée d’une veste et d’un pantalon de jogging bariolé, elle s’impose au regard, attire toute l’attention, en délivrant sa propre histoire. Et en effet, ça va cogner.
Au fil d’un monologue logorrhéique, qui voisine avec la diatribe et le plaidoyer, on suit le fil d’une existence ni heureuse, ni malheureuse, à la marge, et qui se laisse soudainement profondément heurtée. Prise dans la spirale de la misère sociale et sentimentale, en couple avec un blaireau patenté, aspirée par l’alcool, la drogue, les fréquentations douteuses, les gueules de bois, elle fait un soir, tard dans un bar, la rencontre inopinée d’un homme qui pourrait tout faire basculer. Elle le perçoit aussitôt comme un être différent, singulier, qui la séduit et qu’elle veut séduire. Passer la nuit à faire l’amour, avoir et porter un enfant de lui sont autant d’événements imprévus qui pourraient enchanter son quotidien, lui permettre fallacieusement de croire possible de conjurer le sort, de ne plus se sentir seule, minable, mais de vraiment exister et de redonner du sens à son existence où la violence et l’agressivité ont jusqu’ici toujours primé. Pour autant, une succession de péripéties (qui ne peuvent être racontées) d’une gravité douloureuse contrecarre les projets d’Effie et l’oblige à sempiternellement devoir lutter contre l’adversité.
Quel lien ce destin dramatique peut-il entretenir avec celui de la fille du roi Agamemnon qui donne son titre à la pièce ? Comme son emblématique aînée, Effie est une figure d’héroïne délibérément abandonnée, sacrifiée. Corps et verbe bouillonnent de colère et de force combative, de sensibilité à fleur de peau, de pertinence et de radicalité. L’audace du propos, l’aplomb et l’acuité avec lesquels il est porté ne peuvent que bouleverser. C’est la raison pour laquelle il faut saluer la performance coup de poing car pleinement investie que délivre Gwendoline Gauthier, accompagnée des musiciens François Sauveur, Julien Lemonnier et Pierre Constant, sous la direction de Georges Lini.
Déjà joué près de cinquante fois au Théâtre de Poche de Bruxelles, et en tournée en Belgique francophone, le spectacle a été nommé dans les catégories meilleur spectacle et meilleure comédienne au prix de la critique. Le texte anglo-saxon d’une efficacité et d’une intensité aussi bien du point de vue de la narration que de celui de la dénonciation, ses idées concrètes, son langage cru, son interprétation frontale hyper sûre et pêchue, sa mise en scène d’une modernité ravageuse, sa musicalité d’une sensibilité exacerbée, tout est d’une folle justesse qui profondément remue.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Iphigénie à Splott
Texte Gary Owen
Traduction texte Blandine Pélissier et Kelly Rivière
Mise en scène Georges Lini
Avec Gwendoline Gauthier
Collaboration artistique Sébastien Fernandez
Direction musicale François Sauveur
Musiciens Pierre Constant, Julien Lemonnier et François Sauveur
Ingénieur son Sébastien Courtoy
Créations lumières Jérôme Dejean
Costumes Charly Kleinermann et Thibaut de CosterProduction Théâtre de Poche
Co-production Théâtre de Poche et de la Cie Belle de Nuit
Soutiens Maison Antoine Vitez, Centre international de la traduction théâtrale, COCOF, Loterie nationale et de la Fédération Wallonie-Bruxelles – service théâtre
L’auteur est représenté par MCR Agence LittéraireDurée : 1h25
Festival Off Avignon 2023
11 Avignon
du 7 au 26 juillet, à 10h20 (relâche les 13 et 20)
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