Avec Walser Show, Olga Grumberg et son équipe cousent subtilement ensemble divers textes de Robert Walser. Un travail à découvrir en diptyque avec Je n’ai pas le don de parler – autre immersion dans l’univers littéraire de l’auteur.
Lorsqu’on utilise le terme de « show », l’on pense souvent à une proposition forçant le spectaculaire, ménageant nombre d’effets et d’artifices à la séduction parfois volontariste. C’est tout sauf le cas du Walser Show qui, à mille lieues d’une création tape-à-l’œil, creuse au contraire une modestie aussi économe qu’essentielle. Un choix on ne peut plus pertinent quand il s’agit de travailler l’œuvre du poète et écrivain suisse de langue allemande Robert Walser (Bienne 1878 – Herisau 1956).
Pour ce spectacle, la metteuse en scène et comédienne Olga Grumberg (cheffe de troupe de la compagnie Les Adules) dit être partie de sa passion pour L’Étang. Ce texte, notamment adapté en 2021 par Gisèle Vienne, est moins fréquemment monté que d’autres de l’auteur (citons L’Institut Benjamenta, Blanche-Neige, Cendrillon, etc.). Vraisemblablement écrit en 1902, ce texte très court en dialecte bernois n’avait pas vocation, selon son auteur, à être diffusé. Lui-même le considérait comme une œuvre de jeunesse destinée à sa jeune sœur Fanny. Un texte produit par un frère qui raconte une histoire à sa sœur … Des frères et sœurs qui se racontent des histoires … Des personnes qui se retrouvent dans des lieux où elles-mêmes – ou d’autres –, vont (se) raconter des histoires … Voilà ce qui architecture notamment Walser Show. Entremêlant des fragments ou séquences tirées de plusieurs écrits de Walser, ou sur Walser (L’Étang, Petite prose, Petits Essais – tous trois de lui – et Promenades avec Robert Walser de Carl Seeling, son ami et tuteur), la compagnie Les Adules « fabrique » une histoire, un cadre plus vaste au sein duquel se déplie L’Étang. Et la mystification échafaudée par le jeune Fritz, soit son faux suicide dans l’étang voisin afin de tester l’amour de sa mère (dont il doute), comme son issue heureuse, se trouvent enchâssées dans d’autres histoires.
À cette image, la scénographie signale intelligemment ce dispositif d’écriture – par ailleurs propre au cabaret. L’agencement de brefs récits ou numéros a priori hétérogènes et révélant progressivement leur logique commune résonne dans la présence de trois toiles. Ceinturant l’espace scénique (sobrement occupé par quelques petits meubles), ces images lorgnent vers la structure du triptyque en retable, tout en assumant par le choix de l’encre de chine une épure formelle. Tandis que l’image centrale représente une montagne avec à ses pieds une forêt et leur parfait reflet (dans ce qu’on imagine être le fameux étang), les deux de part et d’autre annoncent le « Cabaret de la Montagne ». Ce lieu walserien ici illustré par une jeune femme et un ours renvoie à l’origine du cabaret, soit à son versant forain, populaire, existant dans des univers socialement modestes (et ici ruraux). Le dénuement que l’on pressent chez les personnages dessinés par Walser s’affirme ainsi dans la proposition théâtrale elle-même.
Il en va de même pour l’enfance : cet espace où va se dire et se répéter la croyance absolue dans l’imaginaire est signalé dès l’introduction avec une comptine ; et revient avec les divers personnages d’enfants émaillant l’ensemble. Pour autant, c’est une enfance qui n’échappe pas à la violence du monde des adultes qui l’entoure et la destruction, le désespoir, la mort, la cruauté comme une étrange apocalypse – aboutissement d’un monde allant cul par-dessus tête – peuvent surgir. Mine de rien, dans une mise en scène aussi ténue que tenue, l’équipe transmet au gré des séquences la richesse et la puissance de l’univers littéraire de Robert Walser. Un monde de gens de peu, frôlés par du presque rien comme par d’infinies tragédies. Un monde où les vies semblant saisies sur le vif captent le prosaïque comme l’absurdité d’existences. Un monde où l’humour pointe souvent et croise volontiers le fer avec la détresse et l’affliction. Si l’on peut regretter que l’interprétation des comédiennes et comédiens soit très retenue, manque parfois d’intensité et de profondeur – comme si la fragilité des vies racontées contaminait les intentions de jeu –, l’ensemble porte joliment les écrits de Walser. Et la trop grande pudeur à investir les figures dessinées n’empêche pas de faire résonner la conviction dans l’art du conte et du récit. Car qu’il s’agisse de Fritz ou des autres personnages, c’est bien par l’imaginaire que toutes celles et tous ceux ici réunis trouvent leur salut, ou à tout le moins leur échappatoire …
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Walser show
D’après L’Étang (Ed. Zoe), Petite prose (Ed. Zoe), Petits essais (Ed. Gallimard) de Robert Walser
& Promenades avec Robert Walser de Carl Seelig (Ed. Rivages)
Conception & mise en scène Olga Grumberg | Assistée de Jean-Pierre Petit
Avec Renaud Danner, Olga Grumberg, Esteban Lima de Carvalho, Jean-Pierre Petit, Julie Pouillon
Scénographie Marine Brosse | Toiles peintes Emmanuelle Mafille
Costumes Caroline Tavernier | Lumières Jean-Yves Courcoux
Son & création musicale Arthur Verret et Jean-Pierre Petit
Chorégraphie Delphine Brual
Régie générale Emmanulle Phelippeau-Viallard
Son & création musicale Arthur Verret et Jean-Pierre Petit
Travail sur le corps Delphine Brual
Administration Compagnie Les Adules Séverine NédélecThéâtre de L’Échangeur – Bagnolet
du 18 au 23 mars 2024
à 19h30, sauf le samedi à 18h
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